LOI DARMANIN

NUIT D’INFAMIE AU PARLEMENT : LA LOI DARMANIN VOTEE !

L’adoption, ce 19 décembre, des 86 articles de la loi Darmanin telle que réécrite par une Commission mixte paritaire à rallonge, montre d’abord, avant même de regarder ce qui a été voté, les limites du mode de fonctionnement institutionnel de la Cinquième République.

En effet, voilà un texte de loi qui, une fois déposé sur le bureau du Sénat (le 1er février dernier, c’est à dire qu’il aura fallu quasiment une année entière pour venir à bout de la chose), se vit affublé de la méthode de « procédure accélérée » destinée, depuis 1958, à favoriser l’adoption rapide d’un texte, en limitant à une lecture par Assemblée l’examen de son contenu.

Là où la chose est devenue spéciale, c’est que, du fait de reports successifs de l’examen du texte par le Sénat et son transfert sur le calendrier de la session 2023 – 2024, le texte n’est arrivé au Palais Bourbon qu’à la fin de la première quinzaine de décembre et a subi l’affront d’un rejet par motion, en dehors de toute discussion des articles du projet de loi.

On sait que, par pure tactique politicienne, le groupe du Rassemblement National s’était massivement rallié à la motion de rejet présentée par la gauche, et en l’espèce le Groupe Ecologiste.

Le Gouvernement, dans ce contexte de deux positions dissemblables des deux Assemblées, utilisa donc l’un des outils dont il dispose, c’est à dire la convocation d’une commission mixte paritaire, associant sept députés et sept sénateurs, répartis à raison de l’importance numérique de leurs groupes au sein de chacun des hémicycles.

Ce qui donne d’office à une telle structure l’allure d’un espace de dialogue entre macronistes (issus de l’Assemblée) et républicains (venus du Sénat).

Et ce, compte tenu de la règle en vigueur, à l’insu du citoyen lambda puisque les délibérations d’une CMP ne sont pas publiques.

Dans la CMP tenue lundi 18 et mardi 19 décembre, ce qui surprend le plus, à la vérité, réside dans le nombre d’interruptions de la réunion et de leur durée, attestant d’une implication directe du Gouvernement dans le sens donné à la rédaction du texte.

Cette situation est quasi inédite et ne correspond en aucune manière à la philosophie générale censée imprégner le « rationalisme parlementaire » issu de l’ordonnance 58 – 1100 relative aux assemblées parlementaires, du Règlement des Assemblées et de la Constitution (ici notamment de l’article 45).

Et notamment le fait que les parlementaires, en qualité de législateurs et de représentants du pouvoir législatif, ne sauraient accepter d’injonctions de l’exécutif.

Or, nous sommes bien obligés de constater que les interruptions de séance de la CMP destinées à permettre aux élus macronistes de faire le point en direct avec le Gouvernement sont exactement en violation des principes ci dessus rappelés.

Passé ces remarques sur la forme, attaquons nous au fond du texte.

Qui, entre la surenchère permanente de Muriel Jorda, rapporteure LR au Sénat et dépositaire d’un rapport annuel sur le budget de l’Immigration et de l’Intégration, et celle d’Eric Ciotti et d’Olivier Marleix, courant désespérement derrière les élus du RN, attendant tranquillement la fin du cirque législatif, le tout avec un Gérald Darmanin frisant l’indécence, a pris tous les défauts possibles.

Au regard des 110 articles du texte issu des travaux de la Commission des Lois de l’Assemblée, le projet de loi s’est trouvé réduit à 86 articles.

Une réduction du nombre des articles qui aurait pu et dû aller plus loin, singulièrement depuis que l’Elysée a annoncé envoyer le texte adopté par l’Assemblée Nationale au Conseil constitutionnel, pour vérification de sa conformité avec les principes républicains mêmes de notre pays.

La chose peut sembler utile et il est même probable que d’autres recours peuvent être formulés, notamment de la part de l’opposition parlementaire de gauche.

Mais on pourrait aussi se demander si, en dernière instance, Macron n’a pas conseillé à ses députés de « laisser filer » en commission mixte paritaire pour aboutir au texte voté mardi dernier et faire la démonstration, censure du juge constitutionnel à l’appui, du caractère « illégal » de certaines des propositions formulées par les partis de droite et d’extrême droite.

Une preuve de plus, alors, du profond mépris dans lequel Macron tient le Parlement.

Pour autant, le corpus idéologique et philosophique du texte est assez spectaculaire

Le texte donne force de loi à la préférence nationale, principe fondateur, si l’on peut dire, du Rassemblement National, qui considère , par ce biais, que le principe d’égalité, pourtant affirmé dans la devise même de la République, est vain et de nul effet.

C’est sous cet angle qu’il convient d’appréhender les délais de carence (de trente mois à cinq ans) d’accès aux allocations logement, et par delà au logement même.

Ce qui signifie que les demandeurs d’aides au logement (et par voie de conséquence de logement) de nationalité étrangère (comprendre extra communautaires) auront toute liberté de goûter aux délices des loyers exorbitants facturés pour des logements insalubres, sinon surpeuplés ou indécents.

Sur un strict plan financier, on peut être certain que l’économie théorique réalisée pour le non versement des aides concernées sera probablement gaspillée dans l’ensemble des dépenses d’intervention sanitaire et sociale qu’il conviendra de mobiliser à raison des conditions de logement…

La loi étend les peines conduisant à la déchéance de nationalité, dispositif pour l’heure extrêmement rare, strictement conditionné et défini (on peut cesser d’être Français si l’on est devenu Américain, par exemple mais c’est surtout l’espionnage au profit d’une puissance étrangère et les actes de terrorisme qui motivent aujourd’hui ce type de mesures).

La loi réduit l’application du droit du sol, pourtant appliqué en France depuis 1315 et un arrêt du roi Louis X, dit le Hutin ; et fait, à cet effet, de l’Outre Mer un champ d’expérimentation grandeur nature de cette restriction.

La vie de famille des étrangers est rendue plus difficile, puisque les conditions d’accueil sont rendues floues et soumises à décision municipale.

Ainsi, l’article 5 du projet adopté stipule notamment (je cite)

Après l’article L. 434-10, il est inséré un article L. 434-10-1 ainsi

rédigé :

« Art. L. 434-10-1. – Le maire de la commune de résidence de l’étranger ou le maire de la commune où il envisage de s’établir procède à la vérification des conditions de logement et de ressources dans un délai fixé par le décret en Conseil d’État mentionné à l’article L. 434-12.

« En l’absence d’avis rendu dans ce délai, il est réputé défavorable. » ;

(fin de citation)

Ce qui signifie que le regroupement familial va désormais être soumis à l’aval des élus locaux qui n’auront pas à justifier de leur décision ni à motiver leur refus, le simple fait de ne pas répondre à la question dans les temps valant précisément refus.

Par ailleurs, on a décidé également de soumettre les étudiants au versement d’une caution, qui ne sera restituée qu’en fin de cursus, une mesure qui va probablement contribuer à la relance de la coopération scientifique internationale et au rayonnement de la francophonie.

Déjà que l’Algérie vient de décider de la nécessité, pour l’enseignement, de prioriser l’apprentissage de l’anglais au détriment du français…

La loi réinvente aussi le délit de séjour irrégulier, metun terme au titre de résident étranger malade, et promeut le conditionnement de l’aide publique au développement à la capacité et l’acceptation par les pays concernés de « récupération » de leurs ressortissants faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français.

Ce véritable concours Lépine de la mesure la plus discriminatoire et la plus « raciste » (on va par contre distribuer des visas long séjour aux résidents britanniques disposant d’une résidence secondaire en France) aura au moins deux avantages, si l’on peut dire.

Le premier est de montrer ce que signifie une loi mal écrite, mal ficelée et de piètre qualité quand elle prend cette forme.

Le deuxième, c’est d’offrir aux avocats spécialistes du contentieux administratif un vaste et futur champ d’investigation tant, faute de censure constitutionnelle, viendraient à s’appliquer les dispositifs prévus par la loi Darmanin.

De quoi nourrir une abondante jurisprudence…

Pour la bonne bouche (façon de parler), il peut être clairement établi que la loi s’est votée en l’absence, pour la plupart des législateurs (et nul doute de l’opinion prétendue favorable au projet de loi) , d’une connaissance de la réalité.

Je vous invite à mettre une oreille sur ce lien, interrogé par les journalistes de France Info ce matin

https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/8h30-fauvelle-dely/la-reforme-de-l-allocation-personnalisee-d-autonomie-la-saisine-du-conseil-constitutionnel-le-8h30-franceinfo-de-jean-philippe-tanguy_6244314.html

Car, un élu qui ne connaît pas le nombre des étudiants étrangers en France ou ne sait pas calculer des pourcentages et aspire à gouverner, cela laisse rêveur.

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