LE CHILI NE REPREND PAS LA VOIE DE DROITE
En ce dimanche de l’été austral, le peuple chilien se trouvait, en principe, au terme d’un long processus constituant visant à abandonner le texte de la Constitution de 1980, c’est à dire rédigé à l’époque de la dictature de Pinochet pour lui substituer un nouveau texte, issu des travaux d’une Assemblée constituante.
Le processus a été effectivement long, engagé dans le cadre du mouvement social majeur connu par le pays en 2019, mouvement conduisant à la convocation d’un premier referendum, où près de 80 % des électeurs votants effectifs (le pays est durablement marqué par une abstention massive lors des consultations électorales) avaient exprimé un désir de changement.
Une première Assemblée constituante a été élue en mai 2021, avec une majorité politique orientée à gauche, trois alliances de gauche obtenant en effet 79 élus sur 155 et pouvant s’assurer le soutien d’une bonne partie des élus représentants des communautés indigènes (17 députés au total) et d’élus issus des mouvements sociaux.
La droite post pinochettiste avait subi un échec cinglant lors de ce scrutin en ne décrochant que 37 élus et un peu plus de 20 % des votes.
L’Assemblée constituante ainsi constituée a présenté, au terme de ses travaux, un projet constitutionnel à l’approbation des électeurs le 4 septembre 2022, sur décret du nouveau Président de gauche, l’ancien leader étudiant du Grand Sud chilien, Gabriel Boric Font.
Mais le texte, bien que pourvu de bien des qualités, reconnaissant les minorités ethniques et le caractère plurinational de la République Chilienne (seule la Bolivie a, dans une région marquée par la présence de populations natives amérindiennes, reconnu cette réalité dans sa Constitution), établissant une société forte de la communauté des principaux biens, une société respectueuse de l’environnement et attachée aux équilibres écologiques, accordant une large place aux droits personnels des individus (l’article 61 du projet donnait force constitutionnelle au droit à l’interruption volontaire de grossesse), fut très largement repoussé, le non, porté par les partis de droite, l’emportant avec près de 62 % des voix et trois millions de suffrages d’avance.
Le vote avait été déclaré obligatoire pour ce scrutin et l’on compta plus de deux millions d’abstentions, tandis que nombre d’électeurs sans tradition de vote, ont opté pour le NON.
L’affirmation du caractère laique de l’État et certaines questions sociales (le droit à l’IVG notamment) ont affirmé la propagande menée par la droite chilienne dont les liens avec la conception la plus rétrograde de l’Église sont une réalité particulièrement prégnante.
Et le racisme latent dans la société chilienne à l’endroit des minorités (notamment les Mapuches ou Araucans) a fait le reste, puisque le projet de texte élargissait sensiblement leurs droits collectifs et individuels.
Devant l’échec, une nouvelle Assemblée Constituante, d’effectifs plus réduits, a été élue en mai 2023.
Le résultat du scrutin fut très largement favorable à la droite puisque le Parti Républicain, mené par José Antonio Kast Rist, battu de la présidentielle face à Gabriel Boric Font, obtint plus du tiers des voix et vit sa majorité confortée par les votes en faveur de Chile Vamos de l’ex Président Sébastian Pinera Echenique avec 34 élus sur 51 au sein de l’Assemblée.
Le nouveau projet de Constitution, bien plus conservateur (il fait de la famille la base de la société et comprend notamment un article dédié au terrorisme, à la manière de le combattre et faisait de la « paix sociale »une mission essentielle de l’Etat) porte donc la marque de cette droite aux prises avec sa propre extrêmité.
En effet, à peu de distance du scrutin, une partie du Parti Républicain, menée par « Rojo » Edwards Silva, sénateur de la région Métropolitaine de Santiago, trouvant le texte trop modéré, s’est engagée contre le projet, sans doute inspirée par l’exemple argentin de Juan Milei, le libertarien juste élu Président de la République.
Je ne suis pas certain que cela ait suffi à faire basculer un corps électoral qui semblait déjà réticent à l’approbation du texte.
Ce qui est certain, c’est que les lignes de partage politique imprégnant la vie politique du pays se sont retrouvées dans la répartition des votes.
Juste majoritaire dans les provinces du Nord (Arica, Tarapaca), le NON a largement gagné dans les régions situées de l’Atacama à la région O’Higgins (Rancagua) avant que quelques régions (Maule, Nuble et Aracaunia) n’accordent une primauté au OUI (10 000 votes dans le Maule, 45 000 dans le Nuble et 48 000 en Araucania) et que le NON ne se retrouve de nouveau devant, dans les Régions méridionales.
36 000 voix d’avance pour le NON dans le Bio Bio (Concepcion), 20 000 dans la Région de Los Lagos (Puerto Montt), 20 000 dans celle de Los Rios (Valdivia), 6 000 dans celle de l’Aysen del General Ibanez del Campo (autour de l’ile de Chiloe) et 22 000 dans la région de Magellan et de l’Antarctique chilien (Punta Arenas).
Autre manifestation des rapports de forces politiques « traditionnels » du pays, le vote dans la région métropolitaine de Santiago.
Ainsi, les communes bourgeoises de Las Condes, Lo Barnechea ou encore Vitacura ont largement approuvé le texte constitutionnel proposé avec des pourcentages respectifs de 68,3 %, 74,2 % et 79,2 % de OUI.
A contrario, le NON l’emporte avec 67,3 % à Pedro Aguirre Cerda, avec 65,9 % à la Granja, ou encore 66 % à la Pintana.
La diaspora chilienne a voté, également, même si c’est en effectifs réduits, en faveur du NON.
Peu de votants (moins de 40 000 sur l’ensemble du globe) mais une large désapprobation du texte (le NON dépasse les 63%).
Au consulat de Paris, le NON réalise un score de 86,5 % qui ne laisse aucun doute sur la sensibilité de nos ressortissants chiliens.
En Espagne, le NON est à 67 % (73 % à Barcelone) et à près de 65 % en Argentine.
Le OUI est en tête aux Etats Unis avec plus de 59 %, le pourcentage le plus élevé étant observé au consulat chilien de Miami (plus de 75%).
Le faible nombre de votants en Asie et en Afrique (moins de 600 pour les deux continents concernés) ne donnent pas grand sens au fait que le OUI y soit majoritaire, et le NON gagne nettement en Europe et en Océanie.
Pour le continent américain, une bonne part des pays sud américains votent pour le OUI (Bolivie, Colombie, Equateur, Paraguay, Pérou, Venezuela), en sus des Etats Unis et de petits pays de l’isthme (Salvador, Guatemala, Honduras, Panama) où la population électorale doit se définir au sein du personnel diplomatique.
Mais Argentine, Brésil ou encore Mexique et Canada changent clairement la donne en apportant plus de 2 700 voix d’avance au NON, à eux quatre.
Ceci étant, le Président Boric Font, devant ce résultat, a annoncé que le processus constituant était forclos et que, pour l’heure, le pays resterait sous la règle constitutionnelle fixée en 1980…
Attendu que la gauche a, sur ces entrefaites, réussi à faire passer la règle des quatre septièmes pour envisager quelques modifications constitutionnelles, l’affaire demeure donc à suivre.
(La règle dite des quatre septièmes fait référence à la nécessité de disposer du vote favorable de 4/7e des parlementaires pour entériner une modification constitutionnelle, soit 118 voix sur 205.)