MANUEL DE SURVIE (2eme partie)

On notera cependant des incongruités qui font que la nuitée au Martinez de Cannes est soumise à un taux de 5,5 % alors qu’un taux de 20 % affecte le chocolat au lait, la confiserie et les rouleaux de papier hygiénique.

Ceci dit, comme rien n’est jamais trop drôle, et ce alors même que la France se situe dans le peloton des pays où la TVA rapporte le plus, nous disposons aujourd’hui de taux spécifiques.

Il y a d’abord l’exonération de TVA qui concerne les produits agricoles vendus par les agriculteurs eux mêmes.

Il y a ensuite le maintien de taux anciens et notamment celui de 2,1 % appliqué aux médicaments vendus sous ordonnance mais aussi aux journaux, ce taux participant de fait d’une forme d’aide à la presse.

Et, dans le cadre de politiques négociées au niveau européen, nous avons en France des taux inférieurs au taux normal, par exemple pour les prestations d’hôtellerie restauration, mesure destinée à favoriser l’emploi dans un secteur d’ailleurs connu pour être en tension…

Ceci posé, nous reviendrons dans un autre article sur les effets des différentes mesures mises en œuvre pour ‘ajuster’ l’application des règles fiscales et notamment en matière de taxes frappant la consommation populaire…

Dans le cas de la CSG, au rendement supérieur à celui de l’impôt sur le revenu, il convient ici de rappeler que son assiette est l’une des plus larges qui soient.

Ainsi, si l’impôt sur le revenu prévoit une déduction forfaitaire de 10 % sur les revenus salariaux (ce qui fait sortir de l’assiette environ 80 Mds d’euros), la CSG ne retient qu’une déduction bien plus faible de 1,75 %.

La même remarque vaut d’ailleurs pour les revenus financiers qui sont plus imposés au niveau de la CSG que du point de vue de l’impôt sur le revenu.

Sans toutefois que les sommes en jeu ne soient si importantes que cela…

La seule CSG sur les revenus salariaux (secteur concurrentiel et secteur public mêlés) dégagerait cette année 83,6 Mds d’euros, face à un peu moins de 14 Mds pour les revenus d’activité non salariée, un peu plus de 15 Mds pour les revenus financiers et plus de 22 Mds d’euros pour les retraites.

On gardera à l’esprit que le Gouvernement attendait, pour cette même année 2022, un rendement total de l’impôt sur le revenu de 86,8 Mds d’euros, tous revenus confondus.

Si l’on appréhende maintenant les grandes masses financière sen jeu du point de vue de l’assiette (la base imposable) de l’impôt sur le revenu, on se retrouve face aux données suivantes (la totalisation date des déclarations de revenus 2020)

Salaires et assimilés : 758,7 Mds d’euros

Pensions et retraites : 335,2 Mds d’euros

Revenus agricoles : 10,7 Mds d’euros

Bénéfices industriels et commerciaux : 25,2 Mds d’euros

Bénéfices non commerciaux : 39,3 Mds d’euros

Revenus fonciers : 55,9 Mds d’euros

Revenus de capitaux mobiliers : 34,6 Mds d’euros

Plus – values : 17,4 Mds d’euros.

Un salarié moyen déclarait en 2020 un peu plus de 30 000 euros par an, mais seulement 17 000 quand il était non imposable.

Un retraité ou pensionné non imposable se situe aux alentours de 15 000 euros, et de 31 700 euros quand il en paie.

On aura donc remarqué, pour le coup, que si les salariés sont évidemment un peu plus nombreux à s’acquitter d’une cotisation (un peu plus de 50 % contre 45 % des retraités et pensionnés), le double phénomène historique des avancées de notre régime d’assurance vieillesse, puisque, malgré les réformes Balladur, Fillon ou Touraine, la situation économique des retraités a profondément changé depuis 1945 et de la précarisation de l’emploi qui amène une part croissante des salariés (et notamment des femmes) à des niveaux de rémunération indignes de notre temps.

Quand la moitié des salariés de ce pays dispose de 1 400 euros nets maximum avec une progression des horaires atypiques, une banalisation du travail du dimanche et du week end, nous sommes clairement dans une société qui est une société de bas salaires.

Dans de nombreuses localités de notre pays, la situation générale des retraités est plus enviable que celle des actifs.

Ainsi, une commune comme Saint Cast le Guildo (22) présente une situation où les actifs perçoivent en moyenne 25 700 euros de revenus salariaux annuels et les retraités, plus nombreux (62 % des ménages comptent au moins un retraité), de 29 300 euros.

A Carnac (56), autre station touristique bretonne, les salariés émargent en moyenne à 27 870 euros annuels, les retraités et pensionnés à 30 530 euros.

Sur la côte catalane, les salariés perçoivent une moyenne de 22 080 euros dans la commune de Saint Cyprien quand les retraités sont à 25 750 euros.

Plus haut, à la Grande Motte (34), la moyenne est de 25 240 euros pour les salariés et de 27 140 euros pour les retraités.

Et dans une ville comme Saint Raphael (83), le salaire moyen annuel est de 27 880 euros, quand retraités et pensionnés ont en moyenne 30 330 euros.

Le développement de l’emploi déqualifié, encouragé notamment par les mesures d’allègement des cotisations sociales (« réduire le coin fiscalo – social » disait, dans les années 90, Jean Arthuis, alors Rapporteur général du budget au Sénat), les recrutements massifs dans le secteur des services, tant ceux apportés aux particuliers que ceux fournis aux entreprises et, dans la dernière période, la génération des postes Uber et la « réinvention » du travailleur à la tâche, faussement déguisé en travailleur indépendant ont porté de mauvais coups à la situation des salariés.

Il est de plus en plus fréquent que, dans le même lieu, au sein de bâtiments dévolus à l’activité industrielle, commerciale ou administrative, une entreprise de nettoyage vienne se préoccuper de l’entretien des locaux, une entreprise de maintenance de l’état des installations de production, une autre du gardiennage de nuit et une quatrième, invisible ou presque, encaisse les loyers de la principale, utilisatrice des locaux.

A chaque fois, les économies que cette entreprise peut réaliser sur les coûts globaux de maintenance et/ou de fiscalité se doublent, en fait, d’une augmentation de la marge nette, produit, entre autres, de frais de personnel externalisés.

Une entrée, parmi d’autres, pour nous occuper de l’un des impôts fondamentaux de notre fiscalité, à savoir l’impôt sur les sociétés.

Impôt tout à fait fondamental, mais dont la législation ressemble à un véritable inventaire à la Prévert de mesures dérogatoires.

Car, comme dirait l’autre, il faut quand même beaucoup de mesures diverses pour partir d’une somme des excédents bruts d’exploitation, c’est-à-dire des bénéfices tirés de la production de biens et de services par les entreprises redevables, de plus de 540 Mds d’euros pour aboutir à un rendement net d’un peu plus de 60 Mds nets…

Un petit tour dans la jungle luxuriante qui comprend par exemple le crédit d’impôt relatif aux dépenses de production cinématographique (160 millions en 2022 pour une centaine d’entreprises), motivé par « l’absence de réduction d’impôt »(faut croire qu’il en fallait une), le crédit d’impôt pour la production phonographique (13 millions), le crédit d’impôt pour la production audiovisuelle (186 millions pour 244 entreprises), le crédit d’impôt pour mise à disposition du personnel d’une flotte de vélos (1 million) mais qui intègre surtout quelques bricoles partagées avec la législation de l’impôt sur le revenu comme le trop fameux crédit d’impôt recherche (7 031 millions d’euros attendus en 2022), doublé de son petit frère «crédit d’impôt innovation »(303 millions).

Fort peu contrôlés, ces deux impôts concernent moins de 22 000 entreprises dans notre pays (moins de 1 % des entreprises déposées au registre des tribunaux de commerce) et servent quelquefois à alléger les obligations fiscales d’entreprises qui mandatent des étudiants en physique des matériaux pour changer l’emballage d’une pâte dentifrice ou d’une pharmacopée.

On notera ici que le crédit d’impôt compétitivité emploi, qui n’est plus appliqué depuis 2021 puisqu’il a été transformé en « allégement pérenne de cotisations sociales », demeurait générateur en 2022 de plus de 6 Mds d’euros de créances de l’impôt sur les sociétés, déductibles de la cotisation des entreprises concernées.

En 2023, on s’attend à ce que les dernières créances soient mobilisées pour environ 1 milliard d’euros de plus…

En 2022, 3,3 Mds d’euros ont également été mobilisés pour dispenser du paiement de l’impôt les entreprises qui ont bénéficié des aides du fonds de solidarité lors de la pandémie Covid.

Sans doute une bonne idée mais on remarquera que les salariés ont payé de l’impôt sur le revenu sur les aides qui leur ont été versées au titre de l’activité partielle pendant la même période.

Dans les faits, tout se passe comme si chaque acte de gestion, fait ou décision d’une entreprise, a priori charge déductible du résultat, devenait la source d’un crédit d’impôt ou d’une mesure fiscale spécifique.

Acheter des vélos pour son personnel, produire un disque de rap, investir Outre Mer, rechercher un nouvel emballage, se procurer des véhicules roulant au gaz naturel, commander un tableau ou une œuvre à un artiste en devenir, tout cela peut conduire à une décote fiscale…

Sans compter évidemment les artifices habituels qui permettent de contourner la lourdeur de l’impôt sur les sociétés…

Et sans oublier le principe de report en arrière des déficits qui permettent aux entreprises de réduire l’impôt dû une année bénéficiaire avec les pertes des exercices précédents.

C’est ainsi que des entreprises peuvent présenter encore aujourd’hui des créances de CICE déductibles, le dit crédit d’impôt ne pouvant venir en sus d’un exercice déficitaire.

Car enfin, entre rémunération de la réputation commerciale, prix de transfert, élasticité des délais de paiement et j’en passe, les moyens d’échapper à l’IS sont nombreux et fort utilisés, le plus souvent dans une parfaite légalité, puisqu’aucune règle ne vient, par exemple, s’appliquer à la fixation des redevances d’exploitation que certains utilisent pour amorcer la « pompe à phynances ».

Une entreprise comme Disney tire l’essentiel de sa rentabilité de la rémunération du nom commercial « Disney », rentabilité qui provient entre autres de la redevance acquittée par EuroDisney, qui a pourtant été largement aidée par les pouvoirs publics lors de son implantation sur le site de Marne la Vallée.

Plus près de nous, et plus évident peut être, soulevons le cas de Mc Donald’s, de Leclerc ou encore de Pimkie, entre autres groupes constitués autour d’un centre opérationnel (en général une centrale d’achat) et de multiples magasins et implantations reliés en réseau de PME exploitant lesdits magasins ou implantations.

Chez Leclerc, le magasin de base ne dispose que d’une faible marge bénéficiaire, et le résultat (qui n’est pas à proprement parler un résultat de groupe) remonte en effet très vite vers la maison mère.

Un mode de fonctionnement qui, en regroupant l’essentiel des liquidités dans la société « tête », lui permet de valoriser sa trésorerie au fil de placements de court terme plus ou moins juteux.

Pour autant, la législation IS a fait l’objet d’une forme de révision qui a notamment consisté à « déclasser » des dépenses fiscales en modalités de calcul de l’impôt.

C’est-à-dire que ce qui procédait de choix de gestion de certaines entreprises est désormais considéré comme une « chose normale », inhérente en quelque sorte à la réalité et la consistance de l’impôt.

C’est notamment le cas pour le régime des groupes (articles 223 A et suivants du CGI), pour la consolidation des résultats et pour les plus values de cession de titres dans le cadre de la « niche Copé ».

Devenues modalités ordinaires de calcul de l’impôt, ces mesures ne sont donc plus évaluées en termes d’effets sur les recettes fiscales de l’Etat.

La dernière fois que ce fut le cas, en 2018, la niche Copé dépassa les 7 Mds de coût, le régime des sociétés mères et filiales 17,6 Mds et le régime d’imposition de « droit commun » des groupes de sociétés françaises 16,4 Mds.

Par entreprise, cela faisait environ 380 000 euros de baisse d’impôt pour le régime des sociétés mères et filiales, 1 050 000 euros pour la « niche Copé » et un peu plus de 135 000 euros en moyenne pour les 120 000 entreprises regroupées dans les schémas d’intégration fiscale.

Par comparaison, le taux réduit appliqué aux bénéfices des PME constitue une dépense fiscale de …2 800 euros pour chacune des 760 000 entreprises concernées…

En tout état de cause, c’est donc, au bénéfice des groupes intégrés, une facture de 41 Mds d’euros pour les comptes publics, pour un IS qui, cette année – là, aura rapporté 27,4 Mds d’euros…

Et même si la dépense fiscale a, depuis, été « déclassée », ses effets continuent de se faire sentir sur le rendement de l’impôt.

Ainsi, en 2022, selon les données provisoires tirées des documents officiels, l’IS net aura atteint 62,13 Mds d’euros, et l’IS brut 86,78 Mds d’euros.

La suite au prochain numéro…