POLYNESIE : LA CHUTE FINALE DE GASTON FLOSSE, TOTEM DE LA VIE POLITIQUE LOCALE

Les élections territoriales tenues en ce mois d’avril 2023 en Polynésie ont été marquées par de profonds bouleversements de la vie géographie politique locale.

Pour la première fois, le principal parti indépendantiste du fenua, le Tavini Huiraatira, a obtenu la majorité absolue des sièges au parlement territorial, appelé Assemblée de Polynésie Française.

Quelques rappels sur la situation locale.

Le territoire polynésien est, évidemment, le produit de l’Histoire de la découverte et du partage des terres émergées dans l’ensemble de l’Océan Pacifique

La France, au fil des vicissitudes historiques, des accords passés avec le Royaume Uni, autre grande puissance coloniale dans ces latitudes, a finalement hérité d’un domaine terrestre d’une superficie grande comme le département métropolitain des Pyrénées Orientales, mais surtout d’un domaine maritime de plus ou moins 5 millions de km carrés qui représente à lui seul la moitié du domaine maritime français.

Les distances entre les différents archipels polynésiens sont de fait très importantes et si l’on peut placer les Marquises au niveau de Helsinki pour ce qui est l’ensemble le plus septentrional du fenua, on se retrouve près du Maroc s’il faut positionner les îles Australes, les plus au Sud comme leur nom le précise.

L’ensemble des archipels compte aux alentours de 280 000 habitants, dont deux tiers de Polynésiens et autant d’habitants de l’île de Tahiti, la principale entité de l’archipel de la Société, dans l’ensemble des Iles au Vent (cf.ci dessous).

Quant à la pratique religieuse, plutôt vivace, elle penche de plus en plus vers les différentes formes du protestantisme.

Sur le plan économique, le fenua est très dépendant de la métropole après avoir servi, durant de longues années et postérieurement à la fin de la guerre d’Algérie, de champ d’expérimentation nucléaire pour la bombe atomique française.

Notamment dans les atolls de Mururoa et Fangataufa, situés dans l’archipel des Tuamotu.

Les 193 essais nucléaires, d’abord aériens puis souterrains, qui ont été effectués sur ces sites entretenaient l’économie locale, à partir des fonds dépensés sur place par les militaires en poste et des emplois proposés aux locaux.

Sur la durée, les alternatives au nucléaire financées et/ou mises en place par la France et les pouvoirs locaux ne semblent pas avoir résolu les difficultés d’emploi des habitants du fenua, assez nombreux à s’expatrier, notamment vers la Nouvelle Calédonie et l’exploitation du nickel.

DONNEES GENERALES

La population du territoire est pour l’heure d’un peu plus de 283 000 habitants dont la plus grande partie vit dans l’archipel de la Société, et les Iles du Vent (Papeete, Faaa, Pirae…) avec 212 500 résidents, suivies par les Iles sous le Vent (Bora Bora, Maupiti, Huahine, Raiatea) avec un peu moins de 37 000 habitants.

Les autres archipels sont moins peuplés : Marquises (environ 10 000 habitants), Tuamotu et Gambier (environ 17 000 habitants) et Australes – Tubuai (environ 7 000 résidents).

La Polynésie est évidemment soumise aux phénomènes centripètes propres aux territoires souffrant de retards ou d’inégalités de développement, avec une urbanisation de plus en plus forte de l’archipel de la Société et une contraction de la population dans les autres ensembles, notamment les plus éloignés du centre.

Les Iles du Vent concentrent donc plus de 70 % de la population, pour environ 50 % à la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

DONNEES POLITIQUES

Au plan de la géographie politique, outre que l’ensemble des archipels présente un total de 48 communes, le fenua dispose de deux sénateurs, trois députés (dans un découpage assez déroutant) et de 57 élus au sein de son Assemblée territoriale.

La loi électorale a partagé les 57 sièges entre 8 circonscriptions différentes, trois d’entre elles étant découpées au sein des Iles du Vent, une recouvrant les Iles sous le Vent, deux partageant les Tuamotu et Gambier, les deux dernières concernant les Marquises au Nord et les Australes – Tubuai au Sud.

Une prime majoritaire de 19 élus (soit le tiers des membres de l’APF) est accordée à la liste parvenue en première position du scrutin et le reste des sièges est réparti à la proportionnelle selon la loi d’Hondt.

La 1ere (autour de Papeete) et la 2e (autour de Moorea Maiao) circonscriptions du Vent élisent 13 membres de l’APF, avec une prime, dans ce cas, de 4 sièges.

La 3e (autour de Faaa, fief indépendantiste) élit 11 membres dont 4 accordés en prime.

La circonscription des Iles sous le Vent élit 8 membres (3 pour la prime).

Les quatre autres circonscriptions ( Tuamotu de l’Ouest, Tuamotu de l’Est et Gambier, Marquises et Australes – Tubuai) élisent chacune 3 membres dont 1 accordé à la liste majoritaire.

Le Président sortant de l’Assemblée est Gaston Tong Sang (maire de Bora Bora en sus de cette fonction) et le Président du Gouvernement local est Edouard Fritch, maire de Pirae.

FRITCH ET FLOSSE

La personnalité du Président, engagé de longue date dans la vie politique locale, mérite d’être soulignée puisqu’Edouard Fritch est le gendre de Gaston Flosse, parrain de la droite gaullo – chiraquienne qui a fait la pluie et le beau temps dans la vie politique locale pendant plus de trente ans, des années 80 à la perte d’office de ses mandats électifs, pour cause de corruption avérée.

Le système Flosse, longtemps à l’oeuvre sur l’ensemble du fenua, a mêlé (et notamment lorsque l’intéressé devint Secrétaire d’État au Pacifique Sud du Gouvernement Chirac II en 1986) corruption, dessous de table, favoritisme, pressions diverses et coercition.

Ce fut aussi une époque de dépenses parfois incontrôlées comme lorsque Gaston Flosse, Président du fenua, entretint un cabinet d’un millier de salariés dont … Jean Jacques de Peretti, maire de Sarlat (RPR) et un temps Ministre de l’Outre Mer.

Outre son gendre, qui lui a succédé à la mairie de Pirae, Gaston Flosse a également « placé » l’avocat cannois Vincent Dubois au Sénat (où il parvint à siéger au prix d’une alliance improbable avec le Tavini d’Oscar Temaru), l’intéressé présentant l’avantage d’être le compagnon de l’une de ses filles…

Condamné à maintes reprises par la justice et désormais privé de tout mandat électif, Gaston Flosse pouvait être considéré comme encore présent dans l’ombre du pouvoir local, par la présidence de son gendre ou le fait qu’il a opportunément placé en seconde position de la liste de second tour de la 1ere circonscription des Iles du Vent une certaine Pascale Haiti, sémillante quinquagénaire Marquisienne, qui se trouve être la compagne du vieux parrain de Pirae.

Le fait qu’elle ait quarante ans de moins que son compagnon ne change pas grand-chose à l’affaire, puisqu’elle a, elle aussi, déjà été impliquée et condamnée dans les affaires mettant en cause Gaston.

LE CONTEXTE DE 2023

Edouard Fritch a appris de son beau père d’avoir le sens de l’à propos, puisqu’après avoir conquis la majorité absolue des sièges et presque celle des voix lors du scrutin de 2018, il s’est coulé dans le moule du « nouveau monde » et s’est rapproché d’un centrisme de bon aloi en prenant langue avec l’UDI dans un premier temps, avant de se jeter dans les bras du macronisme, sans que les partisans du Président de la République ne se pincent le nez à la lecture des premières affaires moyennement claires concernant l’intéressé.

Sur le papier, l’affaire avait bien démarré puisque le Tapura Huiraatira, parti fondé par Edouard Fritch sur les décombres de l’appareil politique « flossiste », disposait d’un large soutien avec l’adhésion, en 2016, d’un très grand nombre de maires du territoire.

On y trouvait en effet Marcelin Lissan (Huahine) et Dauphin Domingo (Hitiaa O Te Ra), Michel Buillard (Papeete), Philip Schyle (Arue), Damas Teuira (Mahina), Anthony Jamet (Taiarapu-Est), Wilfred Tevaearii (Taiarapu-Ouest), Tearii Alpha (Teva I Uta), Putai Taae (Papara), Jacqui Graffe (Paea), Rony Tumahai (Punaauia), Gaston Tong Sang (Bora Bora), Cyril Tetuanui (Tumaraa), Céline Temataru (Tahaa), Frédéric Riveta (Rurutu), Joachim Tevaatua (Raivavae), Hirama Hatitio (Rimatara), Benoit Kautai (Nuku Hiva), Nestor Ohu (Ua Huka), Félix Tokoragi (Makemo), Vai Gooding (Rikitea), Ernest Teagai (Tatakoto), Raymond Tekurio (Hikueru), Calixte Yip (Anaa), Mareta Mapu (Fangatau), Mautaina Taki (Napuka), Philomène Tokoragi (Nukutavake), Thérèse Ly (Reao), Tevahine Brander (Tureia), Teapehu Teahe (Takaroa), Teina Maraeura (Rangiroa), Tuhoe Tekurio (Fakarava), Reupena Taputuarai (Arutua) et Liz Haoatai, la maire de Manihi.

Les municipales ont confirmé globalement la domination du Tapura sur les exécutifs locaux, le Tavini ne remportant que Faaa et Paea, tout en gagnant la mairie de Raivavae dans les Australes et celle de Tatakoto dans les Tuamotu, A Here Ia Porinetia remportant le scrutin à Maupiti et Makemo

Mais les trois députés élus en 2017 se retrouvent balayés en 2022, remplacés par trois candidats du Tavini Huiraatira, parti indépendantiste d’Oscar Manutahi Temaru, le maire historique de Faaa et ancien Président du Gouvernement au début du siècle.

Trois forces principales étaient donc en lice pour ce scrutin, entre le Tavini Huiraatira, le Tapura Huiraatira et A Here ia Porinetia, parti de Nuihau Laurey, Sénateur du territoire et de Nicole Sanquer, ex députée battue en 2022 dès le premier tour sur la 2e circonscription législative.

Bien que Nuihau Laurey ait été inscrit au groupe UC du Sénat et Nicole Sanquer fait partie du groupe UDI au Palais Bourbon, le parti s’est rapproché de l’extrême droite, les deux intéressés ayant par exemple parrainé la candidature de Marine Le Pen lors de la présidentielle de 2022.

Pour en revenir sur les législatives, notons que la 2e circonscription couvre la 2e circonscription territoriale des Iles du Vent et les Iles Australes, quand la 3e circonscription regroupe la 3e section territoriale des Iles du Vent (Faaa) et les Iles sous le Vent.

Enfin, la 1ere circonscription recouvre la 1ere section territoriale des Iles du Vent, les Tuamotu, les Gambier et les Marquises.

En pratique, l’ile de Tahiti se retrouve coupée en trois.

Lors du scrutin législatif, les trois candidats du Tavini ont été élus, en remportant la majorité absolue au second tour à Arue (56,1%), Faaa (77,7%), Hitiaa O Te Ra (54,6%), Mahina (62,1%), Paea (62,9%), Papara (70,2%), Taiarapu Est (59,3%), Taiarapu Ouest (65,6%), Teva I Uta (55%), Moorea Maiao (59,9%), Papeete (57%), Punaauia (57%), toutes communes des Iles du Vent.

Seule Pirae, ville d’élection de Fritch et Flosse, a opté pour la sortante soutenue par Renaissance.

Petit chelem aussi pour les Iles sous le Vent avec six communes sur sept pour le Tavini.

Seule Huahiné, pour 44 voix, est restée légitimiste.

LE PREMIER TOUR DU SCRUTIN

Fortes divisions et turbulences dans le camp autonomiste, comme nous l’avons vu, matérialisées par le dépôt des listes du Tapura (Fritch), de O Here Ia Porinetia (Laurey), mais aussi de Amuitahira’a o te Nuna’a Maohi (Rassemblement du peuple Ma’ohi), nouveau nom du parti de Flosse et, in fine, de Ia Ora te Nuna’a (Vive le Peuple), parti fondé par le sénateur actuel macroniste Teva Rohfritsch et Nicole Bouteau, ancienne députée centriste du territoire battue en 2022 dans la circonscription de Papeete.

On notera que Laurey et Rohfritsch se présentaient l’un et l’autre sur la 3e section des Iles du Vent, c’est-à-dire le fief du Tavini.

Du côté « gauche », outre le Tavini, on compte une liste des Verts et un petit parti dissident du Tavini.

Au premier tour, la participation dépasse de peu les 60 % (60,08), mettant le Tavini en tête avec 34,9 %.

Il devance le Tapura, avec 30,5 %, assez loin devant le O Here Ia Porinetia (14,5%) et plus encore le parti flossiste (11,9%) qui ne dispose plus du pourcentage de 12,5 % des votes pour se maintenir au second tour.

Ensuite, le Ia Ora te Nuna’a plafonne à 4,4 %, les deux autres listes de « gauche « réunissant un peu moins de 4 %.

En voix, Fritch perd près de 16 000 voix, tandis que la liste Flosse en cède pratiquement 22 000.

Le Tavini, pour sa part, réunit plus de 17 000 voix de plus.

Avec 43 401 voix, il obtient également près de 20 000 voix de plus que lors du premier tour des législatives de 2022.

Le Tavini arrive en tête dans les trois sections des Iles du Vent et se retrouve au coude à coude avec le Tapura dans les Iles sous le Vent et les Tuamotu Ouest (199 et 78 voix d’écart respectivement).

Les tractations du second tour laissent donc en lice trois équipes.

Le Tavini et O Here Ia Porinetia déposent leurs listes comme au premier tour et le Tapura, comme nous l’avons vu, a fait de la place à des candidats issus du parti flossiste.

Et singulièrement la compagne de l’ancien Président, devenue colistière d’Edouard Fritch.

LE SECOND TOUR

Le second tour est d’abord marqué par une hausse de la participation, celle ci se rapprochant de 70 % (69,96 % exactement).

Cette hausse de la participation (+ 21 183 électeurs) semble n’avoir profité qu’au Tavini qui progresse de près de 9,4 % et de 21 150 voix…

Le parti « bleu » indépendantiste est en tête dans les trois circonscriptions des Iles du Vent, dans celle des Iles sous le Vent et dépasse les 40% des votes dans les Australes et les Tuamotu Ouest.

Il arrive en tête l’ile de Tahiti, sauf Pirae qui reste fidèle à Edouard Fritch avec 49,8 % des votes, Arue (76 voix d’avance seulement) et Punaauia ( avance de 8 suffrages).

Le Tavini dépasse même les 70 % dans plusieurs bureaux de vote de Faaa, son fief historique, centre de la 3e section.

Le succès dans les Iles sous le Vent est moins spectaculaire mais réel.

Le Tavini obtient en effet 44,9 % des votes et se retrouve en tête à Tahaa (88 voix de majorité) mais surtout dans l’ile de Raiatea couvrant les communes de Taputapuatea (97 voix de majorité), de Tumaraa (21 voix d’avance) et d’Uturoa (186 voix d’avance).

Le Tapura est arrivé en tête à Bora Bora, le fief de Gaston Tong Sang (108 voix de majorité), Huahiné (152 voix d’avance) tandis que O Here Ia Porinetia est arrivé en tête à Maupiti, où son chef de file dirige la municipalité.

Victoire donc pour le Tavini dans ces quatre sections.

Pour la section des Tuamotu Ouest, la lutte a été sévère jusqu’au bout.

Le Tapura s’est finalement imposé.

Il gagne à Arutua (114 voix de majorité) et Fakarava (35 voix) mais le Tavini gagne sur Rangiroa (25 voix) et A Here Ia Porinetia l’emporter largement à Takaroa.

Match nul sur Manihi entre Tapura et Tavini.

Plus large succès du Tapura dans la section Tuamotu Est et Gambier, avec 45,5 % des votes.

Sur les douze communes de la section, Fangatau, Napuka, Pukapuka et Tatakoto ont voté en faveur du Tavini, Makemo de A Here Ia Porinetia.

Les Marquises ont massivement voté pour le Tapura, en accordant plus de 56 % des votes au parti autonomiste, ce qui fait que l’archipel a élu deux conseillers sur trois issus de ce parti, la prime majoritaire assurant le dernier siège au Tavini.

Dans la section des Australes, le Tapura l’a également emporté (avec un score de 49,4 % au second tour) grâce au vote de Rapa (61,6 %), Rurutu (57,8 %) et Tubuai (48,3 %).

Mais le Tavini a confirmé sa position sur Raivavae, municipalité gagnée en 2020, avec 69,3 % des suffrages et gagné à Rimatara, avec 50,5 % des voix.

CONCLUSION PROVISOIRE

Après des années de clientélisme, de népotisme et de favoritisme flossiste, voici donc la Polynésie en situation de connaître une nouvelle expérience politique avec la nécessité de répondre à ses difficultés et handicaps.

Tous les enjeux prennent, dans ces iles lointaines, une densité particulière et il est évident qu’une bonne part des solutions devrait résulter de la manière de valoriser les atouts du fenua, et notamment les potentiels de son domaine maritime, et les relations que le territoire pourra tisser avec les pays de la zone Pacifique.