RETRAITE

LES INVISIBLES, LA SUITE

Parmi les découvertes de ce conflit social majeur provoqué par
l’annonce de la réforme des retraites, figure au plus haut point la véritable
révélation de la présence massive des femmes dans la vie économique et
sociale des entreprises et de fait, du pays.
Le lycéen des années soixante dix l’apprenait, ne serait ce qu’au
contact d’un corps professoral de plus en plus féminisé (en 2019, plus de
70 % des enseignants sont des femmes, dont près de 84 % dans le premier
degré de l’enseignement public), mais cette place des femmes dans
l’activité économique est devenue décisive, se rapprochant de plus en plus
de celle des hommes, et contestant à juste titre sa primauté.
Ce n’est pas par hasard ni pour rien que se posent les questions de
l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, ni celles de la
promotion des travailleuses salariées dans les hiérarchies et les fonctions.
Cette situation a évidemment trouvé une illustration dans la situation
des retraites, avec une évolution que même le COR, dans ses touffus
rapports, ne peut qu’attester.
Ainsi, une retraitée née en 1940 disposait d’une pension représentant
60 % d’une pension attribuée à un retraité né la même année.
Pour la génération 1953, et donc âgée de 67 ans en 2020, la pension
d’une retraitée se situe à 63 % de celle d’un homme de la même génération.
Le mouvement est d’ailleurs continu et devrait, en l’état actuel des
choses, conduire, à horizon 2070 (pour une bonne part, nous ne le verrions
donc pas), à ce que la retraite d’une femme représentera 92 ou 93 % de
celle d’un homme.
Le fait qu’il demeurât, alors, tendanciellement, un « gap » entre
salaires féminins et salaires masculins montre, de mon point de vue, la
tâche qui incombe aux salarié(e)s d’aujourd’hui pour une véritable
pratique de la non discrimination.
Les sources de l’évolution sont connues et identifiées.

Il s’agit essentiellement de la progression de l’emploi féminin (nous
venons de le voir avec le mouvement de la fonction publique), et de la
progression d’un emploi de plus en plus « longue durée », même si les
carrières ne sont pas toutes linéaires.
A preuve, le fait que le COR constate désormais que les carrières
accomplies par les femmes sont d’une durée très proche de celle des
hommes, atteignant en effet plus de 39 ans désormais pour une moyenne
de 39,6 ans.
Au delà de cette moyenne, la tendance de long terme est
l’accroissement de la durée d’assurance des femmes et leur « égalité «  de
fait avec la situation des hommes.
Le COR, lui même, annonce tranquillement qu’à partir des natifs de
1970 (qui commenceront à partir en retraite dans les années 2030), les
durées d’assurance seront les mêmes…
Tout simplement parce que le taux d’activité féminin continue de
monter et rattrape celui des hommes.
Mais ce qui fait obstacle à l’égalité réelle, c’est, évidemment, le
niveau des salaires et la question de la position des femmes dans l’échelle
hiérarchique.
En témoigne une administration féminisée comme l’Education
Nationale (les personnels non enseignants sont encore plus féminins que
les personnels enseignants) où seulement 42 % des postes de direction
d’administration centrale ou déconcentrés sont attribués à des femmes.
De fait, la différence persistante entre salaires féminins et salaires
masculins tient, dans le secteur public comme dans le secteur privé, à cette
incapacité des dirigeants publics ou privés de confier à des femmes
certains postes dits à responsabilité.
Comme la carrière est déterminante pour fixer le montant de la
pension et/ou de la retraite, on mesure que la lutte est encore nécessaire
pour réduire aussi les 4 à 500 euros d’écart mensuel qui demeurent entre

emploi masculin et emploi féminin.
Un autre facteur aggravant de la situation réside bien entendu dans le
travail à temps partiel, qui frappe bien plus les femmes que les hommes
dans ce pays puisqu’il concerne près de 4,2 millions de salariés, et donc
essentiellement des salariées.
En l’espèce, il s’agit même de 3,26 millions de femmes et d’un peu
moins d’un million d’hommes
Assez peu choisi et souvent imposé (notamment dans les secteurs du
commerce, des services et de la restauration), le travail à temps partiel
frappe donc près de 30 % des femmes (28,1 % en 2021 selon la DARES),
mais moins de 10 % des hommes (7,6%).
Le travail à temps partiel frappe notamment les seniors en fin de
carrière professionnelle qui décident ainsi, d’une certaine manière, de
terminer « en roue libre » avant la retraite.
Mais il est sans doute abusivement pratiqué pour les jeunes (26,7 %
pour les moins de 24 ans, ce qui fait litière de l’autosatisfecit officiel sur
l’emploi des jeunes) et les salarié(e)s embauché(e)s sous statut
« d’employé » (près de 32%).
Et comme le souligne le Ministère du Travail, au vu de leurs
conditions d’emploi, on peut distinguer trois types d’emplois à temps
partiel.
30 % des emplois à temps partiel, dits « courts », cumulent des
facteurs de précarité. Ces emplois sont caractérisés par des durées de
travail hebdomadaires réduites (souvent inférieures à 15 heures) et
davantage de contrats à durée limitée (contrat à durée déterminée, intérim
ou saisonnier).
29 % des temps partiels sont « atypiques », occupés par des salariés
travaillant plus souvent le samedi, le dimanche, le soir ou encore la nuit de
manière régulière.
Enfin, 41 % des emplois à temps partiel peuvent être qualifiés de
« stables ». Ces emplois sont en contrat à durée indéterminée, ont des
durées hebdomadaires de travail majoritairement supérieures à 24 heures

et s’exercent peu en horaires atypiques.
Toujours est il que le travail à temps partiel est une mine de cadeaux
fiscaux et sociaux pour les entreprises, qui allie faible pression sur la
masse salariale et productivité exacerbée…
Comme quoi, à parler retraite, on finit toujours par parler travail…