Mais elle ne visait pas, globalement, une finalité de justice sociale et
moins encore d’efficacité économique.
Depuis 1985, l’impôt sur les sociétés sera ainsi passé d’un taux dit
« facial » de 50 % à un taux de 25 %, ce qui signifie que des sommes tout
à fait considérables ont été sinon perdues pour le moins abandonnées par
l’État pour le plus grand bienfait des entreprises.
On peut se demander ce que ces sommes peuvent représenter, au bout
de quarante années de baisse dudit taux.
Depuis trente ans que je suis, pour des raisons professionnelles, porté
à regarder la question de la fiscalité locale, qu’ai je pu voir ?
Essentiellement, une quasi disparition de la taxe professionnelle qui
constituait la principale recette fiscale des collectivités en 1993, celle de la
taxe d’habitation et la montée en puissance du foncier bâti, devenu le
principal impôt sur le capital immobilier en France !
Et que dire du financement de la Sécurité Sociale ?
L’une des lignes directrices de la loi quinquennale pour l’emploi, ou
loi Giraud de décembre 1993, était de réduire autant que possible la part du
financement de la Sécurité sociale assise sur les cotisations sociales.
Il s’agissait alors, selon les termes de Jean Arthuis, de « réduire le
coin fiscalo social » dans les coûts de production en France aux fins de
maintenir une compétitivité des produits français face aux produits venant
de pays à bas coûts…
Cette orientation s’est puissamment développée depuis 1993, avec
une montée en charge de la contribution sociale généralisée (celle ci se
substituant aux cotisations basées sur les salaires dans la part dite ouvrière
de ces cotisations) et un allégement continu des cotisations imputables à la
partie patronale dont la transformation du crédit d’impôt compétitivité
emploi constitue une forme d’achèvement…
Nous sommes, en France, dans un pays où 60 Mds d’euros de TVA
effacent autant de cotisations patronales et où la CSG, sorte de couteau
suisse des finances sociales, rapporte désormais plus de 140 Mds d’euros
et alimente la Caisse Nationale d’Assurance Maladie, la Caisse Nationale
d’Allocations familiales, le Fonds de Solidarité Vieillesse, France Travail
(versant allocations), la Caisse Nationale pour la Solidarité et l’Autonomie
(dont elle représente 90 % des recettes) et la Caisse d’Amortissement de la
Dette sociale.
Outre l’usine à gaz à multiples tuyaux ainsi constituée, on pourra
utilement se demander quelles sont les conséquences, sur le moyen et le
long terme, de ce processus de déconnexion entre production et
financement de la Sécurité Sociale.
Un processus qui conduit de fait certains retraités, du profil
célibataires ou veufs avec 1 500 euros de pension mensuelle, à s’acquitter
d’une CSG pour l’autonomie des personnes âgées…
Sur le plan comptable, les choses sont fixées.
Plus ou moins 150 Mds d’euros (CSG + CRDS) ont quitté la sphère
des cotisations pour intégrer celle des impositions.
Sans que cela ne fasse baisser le fameux « taux de prélèvements
obligatoires » dont on nous rebat les oreilles…
On est loin, très loin du 1,1 % de la première mouture de la CSG,
mise en œuvre par Michel Rocard.
Sur le plan économique, les choses sont plus complexes.
Il semble pourtant acquis que les politiques d’allégement de
cotisations sociale ont largement contribué à développer l’emploi non
qualifié, sous payé ou non reconnu dans notre pays, comme l’ont montré
les rattrapages acrobatiques des minima conventionnels dans les branches
professionnelles se retrouvant avec une échelle débutant sous le SMIC.
Aujourd’hui, ce sont 60 Mds de TVA qui sont ainsi gelés, ne
l’oublions pas.
Mais, à la vérité, se pose aussi la question de la persistance du travail
dissimulé, dans ce contexte.
Comme les emplois à temps partiel sont largement subventionnés par
les dispositifs d’allégement, il y a à craindre (j’ai quelques exemples) que
certains salariés choisissent soit une rémunération non déclarée pour une
partie de leur activité, soit d’exercer une autre activité à temps partiel,
permettant à un second employeur d’y trouver son compte…
D’autant que la prime d’activité, cet « impôt négatif » importé de
l’Angleterre blairiste, vient troubler le jeu et peut s’avérer d’autant plus
importante que l’activité l’est en elle même.
Avoir réformé les impôts et cotisations pour aboutir à des emplois au
contenu dégradé, à des pertes de productivité et, semble t il, une
déperdition industrielle conduisant aux déficits publics constatés, cela en
valait il la peine ?