
Dix ans après le dépôt de plainte de l’Union Européenne, suite aux investigations menées par l’Office de Lutte Anti Fraude (OLAF), l’affaire des assistants parlementaires du Front National semble parvenue à un tournant essentiel avec la condamnation de Marine Le Pen, et de la quasi totalité des prévenus dans ce dossier, à l’exception d’un expert comptable du Parti, qui n’a du, manifestement, qu’enregistrer des opérations sans prendre la moindre part à leur détermination.
Ce petit rappel historique semble d’ailleurs affaiblir singulièrement la diatribe lancée par le RN depuis ce lundi sur la prétendue décision visant à « empêcher Marine le Pen de se présenter lors de la présidentielle de 2027 » puisque le fait que le procès ait tardé, outre les lenteurs inhérentes à l’instruction, dans un pays comme le nôtre où la justice dispose de peu de moyens de fonctionnement, tient à la multiplication des procédures utilisées par les accusés et le parti lepéniste pour tenter d’échapper à la mise en œuvre du contradictoire et au rendu du jugement.
Ainsi, Marine Le Pen a été déboutée devant le Tribunal de l’Union Européenne de sa demande de suspension (en 2018) du prélèvement sur indemnité des sommes indûment perçues pour rémunérer sa cheffe de cabinet, Catherine Griset, payée sur poste d’assistante parlementaire, par ailleurs condamnée lundi dernier comme la vingtaine d’accusés convoqués.
La cheffe du RN a également été déboutée devant la Cour de Justice des communautés européennes en mai 2019 du recours exprimé face à la décision du Tribunal.
Au total, 45 recours divers et variés ont été mis en œuvre par le parti d’extrême droite pour échapper aux foudres de la justice, et notamment pour que le bras séculier épargne un certain nombre d’élus et, in fine, d’assistants.
Ainsi, le député européen Jean François Jalkh a été extrait de la liste des accusés, ce qui a permis d’épargner à son assistant, un certain Jordan Bardella, quelques sueurs et tracas.
Mais ce qui restait pour examiner les cas des accusés finalement convoqués était suffisamment consistant pour aboutir au résultat finalement constaté.
Rappelons que le « système » que l’on peut qualifier de mafieux découvert à partir des provisions mensuelles de rémunération versées aux députés européens ( de 23 800 euros au début de la période à 30 000 euros aujourd’hui) était incriminé sur la période courant de 2004 à 2016, de Jean Marie à Marine Le Pen.
Sont donc devenus assistants parlementaires, entre autres, le majordome du domaine de Montretout, résidence des Le Pen, le chauffeur de la famille, le garde du corps de Le Pen père et fille et même la nurse des enfants de Marine, par ailleurs plusieurs fois candidate pour le Parti dans certains scrutins et d’ailleurs aujourd’hui conseillère régionale des Hauts de France.
On notera ici que, avec un évident manque de précaution, le FN, devenu RN, a concerté 20 des 24 assistants parlementaires européens dans ses instances dirigeantes, un peu d’ailleurs comme nous avons déjà eu l’occasion de le constater pour la mairie de Hénin Beaumont, où le bureau politique du Parti s’était en grande partie agglutiné.
Pour relever le caractère croquignolet de l’affaire, on relèvera, entre autres exemples portés à la connaissance du tribunal, le mail de Julien Odoul, chef de file du RN en Bourgogne Franche Comté, demandant, quatre mois après son embauche comme assistant, à rencontrer son employeur….
Le montant du préjudice subi par le Parlement européen est assez proche de 5 millions d’euros, dont près de 500 000 pour la seule Marine Le Pen.
De fait, un tel détournement de fonds publics justifiait pleinement la procédure suivie.
Un point de détail sur cette notion de fonds publics.
On rappellera ici que l’Union Européenne est financée par un prélèvement sur les ressources budgétaires des Etats membres à raison de leur richesse économique respective.
Ce qui fait de la France le deuxième contributeur, puisque notre économie est la deuxième de l’Union, après celle de l’Allemagne fédérale.
Ressources budgétaires signifie prélèvement sur le produit des impôts et taxes perçus en France, c’est à dire que, pour environ un cinquième, la provision accordée à chaque député RN pour recruter des assistants est alimentée par des ressources d’origine française.
Ceux qui ont trouvé le jugement de lundi un peu dur, pour ne pas dire injuste, devraient y penser…
Un détour maintenant sur le problème de l’inéligibilité immédiate, imposée à Marine Le Pen et d’autres prévenus (Bruno Gollnisch, Nicolas Bay, Wallerand de Saint Just ou Catherine Griset, la cheffe de cabinet de Marine Le Pen).
Il importe ici de rappeler que cette peine est, dans tous les cas, une peine complémentaire.
Car, devant le bruit fait par certains depuis lundi, on en oublierait presque que la peine principale infligée à Marine Le Pen est une peine de quatre ans de prison dont deux ans fermes, « aménagés » sous pose d’un bracelet électronique avec les contraintes inhérentes à cette situation
La peine d’emprisonnement est assortie d’une amende de 100 000 euros.
En d’autres temps, et notamment avant l’adoption d’une proposition de loi radicale au Sénat tendant à développer l’utilisation du bracelet électronique, l’emprisonnement aurait été prononcé et appliqué.
Pour la peine actuelle d’inéligibilité, c’est en vertu de la loi Sapin 2 (loi 2016-1691 du 9 décembre 2016) qu’elle est appliquée sous la forme constatée pour Marine Le Pen.
Dans la législation antérieure, la peine était prononcée à titre facultatif (affaire Juppé par exemple).
Elle présente aujourd’hui un caractère plus impératif, seule une décision motivée du Tribunal pouvant conduire à sa non application.
Nous sommes loin de la « justice laxiste » et de la « culture de l’excuse ».
On peut s’interroger désormais sur le fait de savoir si une condamnation à quatre ans de prison ne constitue pas un obstacle insurmontable à toute velléité électorale.