IMMIGRATION : UNE LOI ENTRE REPLI ET DECLIN (1ERE PARTIE)

Le Conseil d’Etat observe que ce projet intervient, comme le souligne son exposé des motifs, dans un contexte marqué par une pression migratoire accrue à laquelle la France est soumise, comme la plupart de ses voisins, ainsi que par des évolutions de fond des phénomènes migratoires, caractérisées notamment par une arrivée de demandeurs d’asile détournés d’autres pays, la présence croissante d’étrangers originaires de pays n’ayant pas de liens historiques avec la France ou encore la part importante prise par les mineurs isolés.

Dans ce contexte, le projet de texte appelle trois observations générales.

4. En premier lieu, comme il l’avait indiqué, dans son avis sur la loi du n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie (AG avis du 15 février 2018 n° 394206), le Conseil d’Etat aurait souhaité trouver dans le contenu du texte, l’exposé des motifs et l’étude d’impact, les éléments permettant de prendre l’exacte mesure des défis à relever dans les prochaines années. Il rappelle à cet égard la nécessité de disposer d’un appareil statistique complet pour éclairer tant le débat démocratique que la définition des choix structurants de la politique publique en matière d’immigration et d’asile.

5. En deuxième lieu, il considère que pour satisfaire aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009, notamment en ce qui concerne « l’état d’application du droit sur le territoire national dans le ou les domaines visés par le projet de loi », l’élaboration du projet aurait gagné, au-delà des quelques brèves lignes consacrées dans l’étude d’impact au bilan de la loi du 10 septembre 2018 qui s’assignait les mêmes objectifs que le présent projet de loi, à pouvoir s’appuyer sur un diagnostic d’ensemble des principales mesures législatives prises en matière d’immigration et d’asile ces dernières années et sur l’explicitation des difficultés d’application rencontrées.

Il aurait été utile que ce diagnostic fasse le départ entre celles qui peuvent tenir au caractère inadapté des normes juridiques qui ont été sans cesse perfectionnées et rendues plus complexes et celles qui trouvent leur cause dans des questions concrètes de mise en œuvre et d’organisation de la chaîne administrative de traitement de l’immigration et de l’asile. Ce diagnostic aurait pu également comprendre un premier bilan de l’application de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dont l’objet même est étroitement lié à certaines mesures du projet.

6. Il observe, en troisième lieu, qu’il est saisi du huitième projet de loi majeur réformant sur des points essentiels les instruments juridiques de gestion du séjour des étrangers en France et de l’asile depuis la création du code du séjour des étrangers et du droit d’asile, il y a seize ans. La complexité croissante des actes, titres, procédures résulte d’une stratification des règles qui pour les agents en charge de la mise en œuvre comme pour les personnes concernées, complique la maitrise du droit et contribue à susciter la défiance ou l’incompréhension de l’opinion publique. Le Conseil d’Etat appelle de ses vœux une réorganisation du droit des étrangers se donnant pour but de réduire significativement le nombre de titres et d’affecter un but et un sens clairs à chaque procédure et se propose de participer, comme il l’avait fait en proposant une simplification des procédures juridictionnelles, à cette réflexion, aujourd’hui indispensable.

7. Le Conseil d’Etat insiste enfin sur le fait que l’effectivité des mesures que comporte le projet dépendra en grande partie des moyens de toute nature (humains, matériels, réglementaires, informatiques) consacrés à leur application et leur rapide et bonne exécution.

A cet égard, il suggère que l’étude d’impact soit complétée afin d’indiquer quelle sera la traduction précise, pour la mise en œuvre du projet de loi, des moyens budgétaires nouveaux prévus pour la période 2023-2027 par la loi n° 2023-22 du 25 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, dans le champ de l’immigration et l’asile.

8. S’agissant du cadre juridique dans lequel le projet de loi a été examiné, il est clairement tracé par la jurisprudence constitutionnelle et conventionnelle en ce sens qu’aucun principe n’assure aux étrangers de droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national. Si les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent en conséquence être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l’autorité publique des pouvoirs étendus, et si le législateur peut ainsi mettre en œuvre les objectifs d’intérêt général qu’il s’assigne, il lui appartient toutefois de veiller à la conciliation entre la sauvegarde de l’ordre public et les exigences du droit de mener une vie familiale, protégé par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), ainsi qu’au respect des libertés et droits fondamentaux reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République (Conseil constitutionnel, décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021, cons. 50 et 51).

(fin de citation)

Cette assez longue citation de l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi « Immigration : contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » présente, pour le lecteur, l’avantage de soulever quelques uns des problèmes fondamentaux posés par un texte où le contrôle et la restriction des droits semblent bien prendre le pas sur l’amélioration des situations collectives et individuelles et l’intégration.

La version initiale du texte du projet de loi suffisait à mettre en évidence les intentions du Gouvernement, ne serait ce qu’à la lecture des titres des différentes parties du texte.

Qu’on en juge

TITRE Ier

ASSURER UNE MEILLEURE INTÉGRATION DES ÉTRANGERS PAR LE TRAVAIL ET LA LANGUE

TITRE II

AMÉLIORER LE DISPOSITIF D’ÉLOIGNEMENT DES ÉTRANGERS REPRÉSENTANT UNE MENACE GRAVE POUR L’ORDRE PUBLIC

TITRE III

SANCTIONNER L’EXPLOITATION DES ÉTRANGERS ET CONTRÔLER LES FRONTIÈRES

TITRE IV

ENGAGER UNE RÉFORME STRUCTURELLE DU SYSTÈME DE L’ASILE

TITRE V

SIMPLIFIER LES RÈGLES DU CONTENTIEUX RELATIF À L’ENTRÉE, AU SÉJOUR ET À L’ÉLOIGNEMENT DES ÉTRANGERS

Pour faire bonne mesure, la majorité sénatoriale (les élus du Palais du Luxembourg seront les premiers à examiner le texte) ont ajouté un titre additionnel et une division supplémentaire à l’ordonnancement général du texte.

Deux ensembles de mesures humanistes ainsi intitulés :

TITRE IER A

MAÎTRISER LES VOIES D’ACCÈS AU SÉJOUR ET LUTTER CONTRE L’IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE

TITRE II BIS

AGIR POUR LA MISE EN ŒUVRE EFFECTIVE DES DÉCISIONS D’ÉLOIGNEMENT

On voit de suite où l’on peut et veut arriver…

On notera, à ce stade, que le texte « martyrisé » dans ce projet de loi est le CESEDA ou Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile.

Posons la question : l’immigration est elle incontrôlée en France ?

Elle fait l’objet de statistiques régulièrement publiées par le Ministère de l’Intérieur.

Prenons les chiffres de 2022, les plus récemment publiés.

La France a accordé le droit de séjour à 316 174 personnes, chiffre que l’on comparera utilement avec la population française au sens INSEE qui se situe, au 1er janvier 2023, à 68 042 591 personnes.

Premier motif de délivrance d’un titre de séjour : la poursuite d’études puisque 101 250 cartes de séjour ont été distribuées dans cette catégorie (32% du total).

Deuxième facteur d’arrivée sur le territoire français : les motifs familiaux, avec 95 507 entrées (30,2%) dont, soit dit en passant, 44 328 parents d’un(e) Français(e).

Peut on rattacher la « submersion migratoire » au simple respect, a priori, des règles de la vie familiale ?

Troisième catégorie d’entrée en France : l’immigration économique avec 51 673 personnes (16,3 % du total), en forte progression avec une hausse de 15 000 entrées entre 2021 et 2022.

Une hausse portée d’une part par la délivrance des fameux « passeports talents » mais aussi, dans un autre ordre d’idées, par le recours au travail temporaire et saisonnier.

Conséquences : en 2022, au titre des premières délivrances de documents valides de séjour, le quatrième pays d’origine des étrangers était … Les Etats Unis d’Amérique.

Pour les saisonniers, il semble bien que le recrutement de plus en plus extérieur à la France des cueilleurs de fruits, des ramasseurs de pommes de terre et des vendangeurs du Médoc oriente loin des étudiants de nos facs en mal de job d’été le recrutement de la main d’oeuvre.

En 2018, on comptait ainsi 2 322 saisonniers déclarés comme tels.

En 2022, leur nombre s’est élevé à 9 726 travailleurs.

Les motifs humanitaires retenus pour accorder un titre de séjour ne constituent, au final, que 40 549 situations (12,8%), essentiellement au titre du droit d’asile ou de la protection subsidiaire (36 968 dossiers au total).

On se retrouve à ce stade assez loin du nombre de demandes déposées et qui se situe à 138 577.

C’est sans doute ce genre de décalage que le projet de loi entend réduire, notamment en modifiant « la structure » de l’exercice du droit d’asile.

On peut raisonnablement douter que ce soit pour rendre ce droit plus effectif…

Enfin, 27 195 étrangers (8,5%) sont entrés sur le territoire à des titres divers dont un peu plus de 10 000 en qualité de mineurs isolés, ce qui montre la dimension d’un problème dont on nous parle beaucoup…

Vous avez vague migratoire ?