RETRAITE – INSERTION DES JEUNES

Dès la constitution de France Compétences, en attendant celle de France Travail, et la création des comptes personnels de formation qui ont surtout permis, à l’instar de la participation des entreprises à l’effort de construction, la centralisation des ressources de la formation professionnelle continue (avant que n’émerge et fleurisse une armada de pseudo organismes de formation destinés à récupérer tout ou partie du pactole des CPF, y compris par l’usage d’alléchantes publicités), le Gouvernement a pris des mesures importantes en matière d’apprentissage.

La matrice législative de la démarche est comprise entre les articles 11 à 17 de la loi 2018 – 771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, celle là même ayant conduit à la création de France Compétences.

Les grandes lignes sont connues : prime unique aux entreprises, larges exonérations de cotisations sociales et, surtout, extension du champ couvert par les contrats au-delà des formations « habituelles » de niveau V vers des qualifications de niveau IV, III et II, et singulièrement des licences et masters professionnels.

Ce changement de structure de la population visée par les contrats d’apprentissage, loin des 16 – 18 ans des années 70 et 80 qui découvraient la vie professionnelle dans des PME et TPE, pouvant aller jusqu’à 29 ans offrait par ailleurs deux garanties au Gouvernement.

Celle de réintégrer dans le champ des entreprises d’accueil de grandes entreprises qui s’en étaient peu à peu retirées, mais aussi celle de réduire la « sinistralité » liée aux ruptures de contrat anticipées et d’améliorer avantageusement le taux de «  réussite » en fin de contrat.

Un bon moyen pour lutter contre l’image plus que contrastée de l’apprentissage, et singulièrement en milieu artisanal, du point de vue des jeunes et de leurs familles.

Pour les entreprises, une gestion avisée de la population des apprentis pouvait constituer un instrument de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et ce, à moindre coût à raison des aides apportées par l’État et des conditions de rémunération, la rémunération contractuelle de base des apprentis étant calée sur le SMIC.

En 2022, la Cour des Comptes s’est émue des dépenses engagées pour le dispositif apprentissage.

Dans un rapport consacré à la fois au développement de l’apprentissage et à la situation de l’opérateur France Compétences, la Cour souligne notamment (je cite)

Favorisé par les aides exceptionnelles versées aux employeurs d’alternants depuis l’été 2020, l’essor sans précédent des entrées en apprentissage – + 98 % depuis 2019 – a surtout concerné les formations après le baccalauréat, destinées à des étudiants pourtant moins concernés par les difficultés d’insertion sur le marché du travail que les jeunes de niveau CAP ou baccalauréat.


Cet essor a entraîné plus qu’un doublement des dépenses associées, qui devraient atteindre 11,3 Md€ en 2021, en grande partie à l’origine de l’impasse financière que connaît actuellement le système d’alternance et de formation professionnelle.


Malgré son ampleur et son coût, le développement de l’alternance (avec près de 800 000 nouveaux contrats en 2021) n’apporte pas suffisamment de réponses aux jeunes en situation de fragilité, ni aux entreprises rencontrant des difficultés de recrutement et ne permet pas assez de prendre en compte les besoins spécifiques des territoires.

Parallèlement à cette enquête, la Cour des comptes a contrôlé France compétences, établissement public créé au 1er janvier 2019 notamment pour assurer la régulation et le financement de la formation professionnelle et de l’alternance.

Dès la première année, l’établissement a vu sa situation financière se dégrader ; les difficultés croissantes constatées en 2020 et 2021, tiennent principalement à l’insuffisance de ressources pour financer l’essor de l’apprentissage et du compte personnel de formation, insuffisance aggravée par les conséquences de la crise sanitaire. La dynamique de l’apprentissage et du compte personnel de formation (CPF), qui constituent les deux principaux postes de dépenses de France compétences, devrait se poursuivre en 2022, plaçant l’établissement dans une situation préoccupante.

Dès 2020, l’opérateur a connu un déficit de 4,6 Md€. Malgré des subventions exceptionnelles versées par l’État pour 2,75 Md€, le déficit serait au final de 3,2 Md€ en 2021 et pourrait approcher 5,9 Md€ en 2022 sans nouvelle mesure exceptionnelle de l’État (pour des recettes estimées à 9,6 Md€). Face à l’ampleur du déséquilibre financier, les moyens de régulation dont dispose l’établissement montrent leurs limites ; la situation de l’opérateur appelle des mesures fortes de la part de l’État pour maîtriser les dépenses et ajuster les recettes.

Afin de consolider le financement de l’établissement et, plus généralement la réforme de 2018, l’État doit définir, avec l’établissement, une trajectoire financière pluriannuelle adaptée aux choix stratégiques et conduisant au rétablissement de la situation financière.

Pour ce faire, plusieurs leviers d’action doivent être mobilisés, comme la baisse des niveaux de financement des contrats d’apprentissage et le resserrement du compte personnel de formation sur les formations les plus qualifiantes. Il est également souhaitable de mieux proportionner le montant de la contribution financière de France compétences en faveur de la formation des demandeurs d’emploi.

(fin de citation)

Evidemment, la grande affaire, dans cette libéralisation forcenée de l’apprentissage et de l’alternance (et ce alors que les Régions étaient jusqu’alors décisionnaires en la matière, le tout fondé sur leur supposée appréciation des besoins de formation et d’emploi), c’est que le profil type des apprentis et alternants a changé et concerne désormais de plus en plus de jeunes majeurs, la part des mineurs (jadis dominants) se situant désormais sous les 20 % du total des « premiers contrats ».

Les observations de la Cour des Comptes dans certaines Régions du pays laissent apparaître que les plus jeunes des apprentis sont aussi ceux dont le contrat est le plus facilement rompu, avec des taux proches de 50 % dans certains cas.

Mais l’explosion du nombre des alternants et des apprentis est confirmée par le rapport annuel du Ministère du Travail pour l’exercice 2022.

811 511 contrats ont ainsi été signés dans le secteur privé l’an dernier et environ 26 000 dans le secteur public (une institution comme le Sénat, où le salaire de base se situe à plus de 3 000 euros primes comprises pour les agents dits du service général, recrute désormais des apprentis juristes…), soit 837 000 jeunes.

En 2018, année de la réforme, on dénombrait 305 895 contrats dans le secteur marchand.

On est passé à 352 971 en 2019, puis 516 214 en 2020 (malgré la pandémie Covid) avant d’atteindre 714 348 contrats en 2021 et donc, 811 511 en 2022.

Si l’on appréhende la durée des contrats (jusqu’à trois ans) et qu’on garde à l’esprit les ruptures de contrats, on peut donc estimer qu’entre 1 et 1,5 million de jeunes ont subrepticement disparu des statistiques du chômage à fin 2022…

C’est à dire entre 3 et 5 % de la population active…

Un pourcentage qui fait la différence entre présumé plein emploi et chômage de masse…

L’évolution des diplômes préparés est significative.

Ainsi, compte t on 173 615 contrats pour préparer un CAP (soit 21%), le niveau baccalauréat étant visé par 122 300 contrats (15%) et, de fait, les niveaux Bac + 2 (DUT, BTS…), licence et master par, au total, 506 892 contractants.

Sans rupture sensible avec le passé, les deux tiers des contrats sont signés dans des entreprises de moins de 50 salariés même si plus de 180 000 le sont dans des entreprises comptant au moins 250 salariés.

Sur les secteurs recrutant des apprentis, prépondérance des services (73%), loin devant l’industrie (14 % des contrats), la construction (11%) et, marginalement, l’agriculture …

Si le commerce vient en tête avec près de 184 000 contrats, notons l’apparition du secteur des sociétés de conseils et d’ingénierie (près de 80 000 contrats), de la banque et des services financiers (près de 55 000) ou encore de l’information et de la communication (près de 42 000), ou des activités de soutien (près de 41 000).

Il est clair que ces secteurs d’activité, plus ou moins émergents, se sont emparés du dispositif Macron Pénicaud pour gérer l’évolution de leurs effectifs et qu’un travers frappe l’alternance comme voie de formation et d’intégration professionnelle, celle de la transformer en période d’essai prolongée, notamment pour des jeunes ne présentant pourtant que peu de difficultés d’insertion...

Pour ce qui est de l’apprentissage en milieu industriel, on relèvera que 14 % de contrats en 2022, cela représente de fait environ 120 000 contrats signés avec, au demeurant, un taux plus élevé que dans bien des secteurs des services en matière d’intégration professionnelle.

120 000 contrats que nous pouvons peut être mettre en regard des 90 000 emplois industriels créés depuis 2017 annoncés cette semaine par le Gouvernement en appui à la présentation du projet de loi Industrie Verte.

Mais la hausse du nombre des apprentis, qui a fait exploser les dépenses publiques (cf. plus haut) a aussi poussé la Cour des Comptes à formuler quelques recommandations

Et notamment

Adéquation et qualité de l’offre de formation

7.

Charger les régions d’organiser une concertation annuelle avec les opérateurs de compétences et les branches professionnelles concernant :

– l’identification des filières de formation à soutenir par le biais de l’enveloppe régionale d’aménagement du territoire ;

– le choix des projets d’investissement à cofinancer par les régions et les opérateurs de compétences

(Ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion, régions, opérateurs de

compétences).

8.

Ajuster les enveloppes régionales affectées à l’investissement en tenant compte de l’évolution des effectifs en apprentissage

(Ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion).

9.

Mettre en place un plan d’action pour assurer le contrôle de la qualité pédagogique des formations en apprentissage

(Ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion, ministère de

l’éducation nationale et de la jeunesse, ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche)

(fin de citation)

Donc, la réforme de 2018 a permis de remettre en question la décentralisation, de libéraliser le secteur de la formation tout en centralisant ses ressources et, in fine, de réduire assez sensiblement le nombre de jeunes sans activité sur le marché du travail.

Et sans que nous puissions être certains que l’alternance dont les acquis pédagogiques, quarante ans après le lancement des premiers dispositifs publics d’insertion et de formation professionnelle, sont une réalité, soit une fois encore mise au service de l’épanouissement de la jeunesse.

Par contre, pour l’atteinte d’objectifs économiques plus fondamentaux, on repassera.

Singulièrement parce que la Cour des Comptes a évalué à 33 % le taux des ruptures de contrat anticipées, ce qui posera la question de l’insertion des jeunes mis en situation d’échec, sachant que, sans surprise, le taux est d’autant plus élevé que le niveau de diplôme préparé est le plus bas.