RETRAITE – les régimes spéciaux

QUELQUES ELEMENTS SUR LES REGIMES SPECIAUX

Le projet de loi de financement de la Sécurité Sociale rectificative qui comporte les paramètres financiers de la réforme des retraites (dont nous verrons peut être dans l’année le second volet) s’attaque à la situation de cinq régimes spéciaux.

On rappellera ici que les régimes spéciaux, selon les données 2021, concernent au total rien moins que près de 6,8 millions de cotisants mais surtout 8,6 millions de retraités (pratiquement un sur deux en France) et plus de 600 000 personnes en invalidité.

C’est à dire plus de 40 % des assurés sociaux, hors fonctionnaires d’État.

Cinq de ces régimes vont faire l’objet d’une mise en extinction progressive.

Elle vise le régime de retraite de la RATP (un peu plus de 42 000 cotisants, un peu plus de 50 000 retraités), celui des personnels du comité économique social et environnemental (effectifs réduits), celui des Industries Electriques et Gazières (plus de 135 000 cotisants pour 180 000 bénéficiaires de prestations), la Caisse de Retraite et de Prévoyance des Clercs et Employés de Notaires (un peu moins de 63 000 cotisants pour environ 80 000 bénéficiaires) et le régime de la Banque de France (moins de 8 000 cotisants et près de 18 000 retraités).

On notera ici, pour rire un brin, que si le rapport Rist de l’Assemblée Nationale parle de la « fermeture des principaux régimes spéciaux », on est bien loin du total rappelé ci dessus.

250 000 cotisants sur un ensemble de 6,8 million, on est loin du compte…

La méthode mise en œuvre est, à chaque fois, la même.

La loi va fermer l’accès aux différents régimes spéciaux à compter du 1er septembre prochain.

Cette situation ne fait aucun cas de l’Histoire, comme des conditions de développement de régimes qui, pour une bonne part, ont été créés avant le régime général comme, d’ailleurs, d’autres régimes aujourd’hui disparus ou presque (on pense à celui des Mineurs).

Ces régimes ont, pour certains, des recettes qui leur sont spécifiques et une situation financière plutôt saine, bien éloignée, par exemple, de ce qu’était devenu le régime social des indépendants qui a explosé avec la sur pression des auto entrepreneurs il y a moins de quatre ans.

Ainsi, faisant partie intégrante du modus vivendi entre l’État et les entreprises publiques EDF et GDF, la contribution tarifaire d’acheminement permet l’équilibre de la Caisse des Industries Electriques et Gazières.

De même, une partie des ressources de la CRPCEN provient de l’activité des offices.

Plus les offices notariaux enregistrent d’actes, plus ces actes portent sur des biens dont la valeur est appréciée ou élevée et plus les recettes de la Caisse progressent.

En 2020, avec le Covid, la CRPCEN s’est retrouvée en difficulté financière.

Par contre, en 2021, elle a présenté un excédent de 308 millions d’euros (soit près de 4 000 euros par bénéficiaire de prestation ou 5 000 par cotisant) dont on peut se demander s’il n’intéresse pas l’État.

Dans le cas de la Banque de France, où l’équilibre est assuré naturellement par les versements de l’employeur, puisant dans la Caisse de réserve, le fait que celle ci est emplie de 15 Mds d’euros accumulés depuis une quinzaine d’années ne semble pas étranger à la manœuvre.

Tout ceci emporte plusieurs conséquences.

Un, le choix opéré va dégrader la situation financière de chaque régime puisque le déséquilibre entre cotisants et retraités est appelé à croître et embellir.

Et il faudra plusieurs dizaines d’années pour que disparaisse le dernier retraité de chaque régime ainsi disparu.

Pendant une bonne quinzaine d’années, le déficit de chacun des régimes va s’accroître peu à peu, un peu comme le garrot serrait petit à petit le cou des condamnés à mort dans l’Espagne médiévale.

Deux, si la perception de nouvelles cotisations (celle des nouveaux embauchés) va renforcer le régime général, elle ne va pas empêcher une nouvelle dégradation globale du solde des régimes obligatoires, les cotisations des régimes spéciaux étant, de manière générale, supérieures à celles appelées pour le régime général.

Car ( et ce d’aucuns seront surpris de l’apprendre mais…) les garanties spécifiques accordées aux gaziers, électriciens ou ératépistes, figurez vous qu’elles sont financées par cotisations !

Des cotisations qui sont plus élevées tant sur la part dite « ouvrière » que sur la part dite « patronale ».

Ainsi, le taux de cotisation retraite est de 6,9 % pour la part ouvrière et 8,55 % pour la part dite patronale, soit au total 15,45 %.

Pour la RATP, les taux sont, cette année, de 12,95 % côté salariés et 19,13 % pour la part patronale.

Soit un total de 32,08 %, deux fois plus élevé que le taux du régime général.

Nous aurons donc une croissance des recettes du régime général inférieure à ce qu’elle aurait pu être avec le maintien des régimes spéciaux concernés, conduisant du coup à une attrition des recettes de l’ensemble des régimes obligatoires de base de Sécurité Sociale (ou ROBSS).

Mais cette situation qui viendra justifier à l’envi de nouveaux sacrifices ultérieurs se situe surtout dans un contexte nouveau.

Outre l’excellent climat social qui devrait découler de la cohabitation, au sein de la même entreprise, de salariés effectuant les même tâches avec un statut et des garanties sociales différents, le choix opéré par le Gouvernement, pour la CNIEG ou la caisse de retraite de la RATP, participe d’une vision politique de longue haleine.

D’une part, elle conduira à solliciter de nouvelles dépenses budgétaires destinées à couvrir les déficits des régimes qui ne manqueront pas d’émerger.

La RATP qui fait déjà l’objet du versement d’une subvention d’équilibre de 800 millions d’euros devrait, à moyen terme, nécessiter le versement d’une subvention de 1 200 millions d’euros.

Mais surtout l’entreprise publique a été placée sur l’orbite de l’ouverture à la concurrence des transports urbains comme le rappelait à juste titre le rapport budgétaire sénatorial sur la mission Régimes sociaux et de retraite en indiquant le calendrier de cette ouverture.

La loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports a prévu la mise en concurrence de l’exploitation des réseaux de la RATP à compter du :

– 1er janvier 2021 pour les lignes de moyenne et grande couronnes (réseau de bus OPTILE) ;

– 1er janvier 2025 pour les services réguliers de transport routier (réseau historique RATP) ;

– 1er janvier 2023 jusqu’au 31 décembre 2032 pour le réseau Transilien ;

– 1er janvier 2030 pour les services réguliers par tramway ;

– 1er janvier 2033 jusqu’au 31 décembre 2039 pour les RER C et D, et entre le 1er janvier 2025 et le 31 décembre 2039 pour le RER E ;

– 1er janvier 2040 pour les autres services réguliers de transport guidé (métro et RER A et B).

La rapporteure des crédits, l’élue de droite Sylvie Vermeillet, représentant le Jura, décrit ensuite « les solutions » acceptables.

S’agissant du mode Bus, la RATP devra donc assurer le service jusqu’au 31 décembre 2024, et transférer dans les entreprises ayant gagné les lots les effectifs nécessaires à la continuité du service.

Ainsi, tous les salariés concourant à l’activité Bus (directement ou indirectement soit environ 19 000 salariés) seront transférés dans les sociétés ayant remporté les appels d’offres. L’activité Bus de la RATP sera de son côté transférée au sein de sa filiale Cap Ile-de-France. Les salariés concernés par ces mouvements ne seront par conséquent plus sous contrat avec l’EPIC RATP, et ne bénéficieront plus du statut du personnel et de l’ensemble des dispositions de l’EPIC. Le « sac à dos social », mis en place par la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM), prévoit cependant que les agents RATP transférés au sein des entreprises concurrentes ou de la filiale Cap-Ile-de-France, ainsi que leurs nouveaux employeurs, restent contributeurs du régime de retraite de la RATP.

Les conséquences en termes de collecte n’ont pas encore été détaillées, la CRP RATP restant dans l’attente du contenu d’un décret d’application.

Le transfert des agents de la RATP affectés au mode bus met en effet en lumière la question de la pénibilité. L’existence de contraintes spécifiques d’exploitation a conduit à la mise en place d’un cadre social territorialisé (CST), commun à tous les conducteurs opérant sur les lignes RATP appelées à être ouvertes à la concurrence. Sans mésestimer la spécificité du transport parisien, il convient cependant de la remettre en perspective en rappelant les difficultés rencontrées par les chauffeurs de transports de personnes, en particulier scolaires, dans les territoires. La durée moyenne de versement des pensions directes servies aux conducteurs RATP est d’ailleurs relativement élevée : 26,1 années en 2020. Au regard des données disponibles en matière d’espérance de vie des retraités de la RATP et des conditions de travail des agents d’autres sociétés de transports collectifs, la question de la pénibilité ne peut constituer la raison d’un maintien du régime spécial de la RATP.

Sylvie Vermeillet a raison !

Le problème c’est la pénibilité des conditions de travail des chauffeurs de bus des autres opérateurs du secteur et non le « privilège » dont les chauffeurs RATP jouiraient en pouvant partir en retraite à 57,3 ans …

Une fermeture du régime conduirait à un double mouvement :

– d’une part, une attrition du nombre de cotisants avec pour corollaire une baisse des cotisations perçues par la CRP-RATP ;

– d’autre part, afin de compenser cette perte de recettes, une progression de la subvention d’équilibre de l’État.

(merci de confirmer l’analyse que nous avons produite ici)

Ce scénario, coûteux à court terme pour les finances publiques, pourrait cependant être contourné par la mise en place d’une compensation financière versée par le régime général et l’Agirc-Arrco, à l’instar de celle mise en place pour le régime spécial de la SNCF (cf supra). Les régimes de droit commun percevraient, en effet, à compter de la date de fermeture, les cotisations des salariés de la RATP qui leur seraient désormais affiliés, mais sans avoir encore de droits à pension à honorer, alors même que la CRP-RATP devrait pour sa part continuer d’assurer le versement des pensions aux retraités du régime, actuels ou à venir, mais en ne percevant plus qu’un flux de cotisation en attrition. L’impact financier d’une fermeture du régime de la RATP pour l’État serait alors nul ou quasi nul.

(fin de citation)

C’est vrai qu’il suffisait d’y penser.

Solliciter le régime général et les réserves de l’AGIRC ARRCO pour faire reculer les garanties collectives des salariés et privatiser le service public des transports parisiens avec le risque de se retrouver avec le syndrome londonien d’explosion des tarifs, c’est tout de même génial !

Pour le secteur de l’énergie, je n’ose rappeler ici que ce qui a construit en partie le déficit 2022 d’Electricité de France provient de la sous – traitance d’une partie des activités de l’opérateur historique, notamment en matière de maintenance des installations et que l’abandon du statut risque donc de renforcer.

Ajoutons les obligations qui ont été imposées à l’entreprise publique de prendre à sa charge les conséquences du désordre du marché de l’électricité (dont le coût est estimé à 8 Mds d’euro sur les 17,9 Mds du résultat négatif 2022 d’EDF).

Pour Engie, devenu un élément du groupe Suez, l’affaire n’a pas été la même.

Pas d’obligation de contenir les prix.

Et une ouverture à la concurrence favorisée autant que possible.

Pour quels motifs ?

Peut être d’obscures raisons de rentabilité financière, alors.

Engie a enregistré une hausse de 62 % de son chiffre d’affaires en 2022, passant de 58 à 94 Mds d’euros…

Le conseil d’administration du Groupe a proposé un dividende de 1,40 euro par action, soit la modeste somme de 3,4 Mds d’euros au total…

Un peu comme si la hausse des prix du gaz que vous avez pu constater sur votre facture était consacrée, pour environ 4 %, à rémunérer les actionnaires d’Engie.

L’État français va ainsi percevoir environ 800 millions d’euros, tandis que les fonds d’investissement Capital Group et BlackRock mettront la main sur 165 et 150 millions d’euros.

Ah oui, le montant des cotisations encaissées par la Caisse de retraite des gaziers et électriciens est de … 3,4 Mds d’euros.

Et une dernière question pour la route, que nous allons traiter bientôt

Pourquoi la fièvre uniformisatrice des régimes de retraite n’affecte aucunement, dans le texte gouvernemental, le régime des exploitants agricoles (1 250 000 retraités), celui des salariés agricoles (2 335 000 retraités) ou la caisse des professions libérales (435 000 retraités) ?