Commençons par les ordres de grandeur, pour lesquels on ne regardera, si j’ose dire, que les recettes de l’Etat.
L’image que nous avons des impôts en France est assez troublée au regard de la réalité des faits.
En tête de gondole, si j’ose dire, la TVA qui devrait rapporter, bon an mal an, dans les 200 Mds d’euros au Trésor Public, l’essentiel de la recette (85 à 90 % et peut être même plus) étant assuré par le fameux taux normal à 20 % qui frappe les prestations de service sauf l’hôtellerie et une bonne partie des échanges économiques de produits manufacturés.
On soulignera aussi que la TVA majore le prix du gaz, de l’électricité et des carburants de plusieurs milliards d’euros (dans le cas précis de 16 à 17 Mds par an, en cumulant TVA sur le pétrole raffiné « brut » et TVA sur les taxes sur l’essence).
La deuxième source de recettes de nature fiscale (je mets volontairement de côté les cotisations sociales qui sont d’une autre nature) s’appelle aujourd’hui la contribution sociale généralisée, qui rapporterait cette année plus de 133 Mds d’euros, majorés de 7 à 8 Mds de son appendice qu’est la contribution de remboursement de la dette sociale.
La CSG, essentiellement portée par les salariés et les retraités, est devenue une sorte de « couteau suisse » des politiques publiques.
Elle a en effet désormais totalement remplacé les cotisations sociales prélevées sur les salaires pour l’assurance maladie ou les prestations familiales, puisque chacun-e peut aujourd’hui constater que nous ne cotisons plus que pour l’assurance vieillesse.
Cette situation me semble déjà donner l’une des raisons profondes de la réforme des retraites que veulent porter Macron et ses affidés qui ont en horreur tout financement de la Sécurité Sociale assis sur la production de richesses…
Mais peu de vos amis, collègues ou voisins doivent savoir que leur CSG sert aussi, aujourd’hui, à financer l’assurance chômage, l’amortissement de la dette publique, ou la fameuse « cinquième branche », celle de la dépendance.
Le cas de de cette nouvelle branche de la Sécurité Sociale est très emblématique de la logique macronienne.
La voici en effet financée à 90 % par la CSG et à 10 % par l’ancienne CNSA, c’est à dire la caisse qui était alimentée par la suppression du paiement du Lundi de Pentecôte.
Tirons le fil jusqu’au bout, puisque la moitié ou peu s’en faut de nos retraités paient la CSG, même si le taux de celle ci est plus faible que pour les salarié-e-s.
Cela revient à dire que les retraité-e-s plutôt en bonne santé et aux pensions complètes pour cause d’annuités en nombre suffisant sont autorisés à financer la dépendance des plus mal en point dont les maux, qu’on le veuille ou non, peuvent fort bien provenir d’une vie professionnelle pour le moins dommageable pour la santé.
Je sais bien que le travail c’est la santé, mais exonérer intégralement les entreprises de toute contribution à la prise en charge de la dépendance est tout de même l’une des plus grosses arnaques des dernières années.
Une arnaque à 30 Mds d’euros, notons le…
Après la TVA et la CSG, arrive enfin l’impôt sur le revenu qui pourrait rapporter cette année environ 80 Mds d’euros
Je ne vais pas rentrer dans les arcanes de cette jungle fiscale que constitue la législation relative à cet impôt pour me contenter de rappeler que le dynamisme relatif de ses rentrées ces dernières années est dû à l’application de la retenue à la source (qui a largement amélioré et régulé, pour le Trésor Public, le rythme d’encaissement du produit fiscal) mais aussi à la mise en place de la « flat tax », c’est à dire le taux privilégié d’imposition dont bénéficient les revenus financiers.
Ainsi, il semble que l’Etat, au regard des recettes constatées au titre de cette modalité d’imposition, ait perdu environ 3 Mds d’euros en 2021 du seul fait de la moindre imposition de ces revenus financiers…
Ce n’est donc qu’ensuite que nous sommes confrontés au produit de l’impôt sur les sociétés, qui s’est élevé en 2021 à environ 46 Mds d’euros, somme que l’on pourra avantageusement comparer aux 542 Mds d’excédent brut d’exploitation des sociétés évalués par l’INSEE ou encore aux 138 Mds de profits déclarés des valeurs du CAC 40, cette manne ayant généré la distribution de 80 Mds d’euros entre dividendes et financement d’opérations de « destruction « d’actions.
Comme je l’ai dit de manière liminaire, entre 35 et 40 Mds d’euros proviennent des taxes énergétiques (TICPE) et font de nos automobiles comme des chaufferies de nos immeubles une source de rentrées fiscales, d’ailleurs partagées entre l’Etat et les collectivités locales.
Je ne peux manquer d’évoquer ici les impositions locales, le foncier bâti, fort peu pris en charge par le budget de l’Etat, générant lui aussi environ 35 à 40 Mds de recettes fiscales.
Quant à la taxe d’habitation sur l’habitation principale, qui a quasiment disparu, elle est aujourd’hui compensée pour les collectivités locales par, devinez quoi… l’attribution de recettes de TVA en compensation !
En filant la métaphore jusqu’au bout, on peut dire, aujourd’hui, que les consommateurs et consommatrices retraité-e-s qui étaient, jadis, exonérées de taxe d’habitation, eu égard à la modestie de leurs ressources, la paient aujourd’hui sur leurs modestes achats en magasin, même quand il s’agit de promotions…
Revenons à la question des exonérations sociales et de leur compensation…
Dans un document parfaitement technocratique mais accessible en ligne, qu’on appelle « Evaluation des voies et moyens » et qui comprend deux tomes de chiffres et de données diverses, on apprend ainsi que l’Etat consacre une part importante de ses recettes à financer, non pas des dépenses publiques stricto sensu genre paie des enseignants ou construction de routes ou chantiers de logements sociaux, mais des dépenses fiscales et des compensations.
Ainsi, 53,8 Mds d’euros de TVA sont aujourd’hui destinés à financer l’assurance maladie, comme une sorte de solde de tout compte pour la prise en charge des exonérations sociales sur les emplois à temps partiel, les emplois au SMIC et autour du SMIC, et les conséquences mécaniques de la « ristourne dégressive sur les bas salaires ».
Le bulletin de paie des personnes concernées comprend d’ailleurs le montant de cette « ristourne » en bas de page, venant en déduction du total « cotisations patronales »…
Mais comme cela ne suffit pas, il faut là rajouter les 15,4 Mds de la taxe sur les salaires, ce machin qui pèse sur les comptes des hôpitaux et qui amène la BNP ou la Société Générale à vous facturer des frais bancaires exorbitants, vu qu’elles y sont assujetties…
Et pour faire le solde, il existe des prises en charge « budgétaires » pour quelques milliards, décrites dans les crédits des différentes missions.
D’ailleurs, la mission Travail et Emploi, dont les crédits sont, au total, d’environ 14 Mds d’euros, sont consacrés, entre autres, pour 3,5 Mds environ à compenser des exonérations de cotisations sociales dans les secteurs « porteurs d’emploi ».
Le même budget du Travail ne prévoit que moins de 30 millions d’euros pour la santé au travail et moins de 40 pour le développement de la « démocratie sociale ».
La même remarque vaut pour la mission Solidarité et insertion, nantie de près de 28 Mds d’euros de crédits, dont 11,7 Mds consacrés au paiement de la prime d’activité pour les personnes payées de 0,5 à 1,3 SMIC.
Ou comment nos impôts servent à permettre aux patrons de financer la précarité et les bas salaires…
Pour en venir rapidement sur les paysans, dont le nombre est en baisse constante (100 000 exploitations ont disparu en dix ans, ce qui devrait nous interroger sur la nécessité de préserver une certaine activité agricole), on rappellera juste ici que la MSA est aujourd’hui aussi financée par des transferts de recettes fiscales.
Quand certains grillent une clope à la pause ou qu’on se retrouve à boire une bière au troquet du coin, une partie va en effet payer l’assurance maladie ou la retraite de nos agriculteurs et de leurs familles.
Et ceci n’est pas une incitation à fumer plus ou à boire plus que de raison…
Toujours est – il que si ce n’était pas le cas, les retraites agricoles seraient de l’ordre de 60 euros par mois…
Comme il faut bien une conclusion, on va la donner.
D’une part, s’informer.
Alors, le truc, c’est que se fader les documents des lois de finances (quelle quantité de fichiers !), des lois de financement de la Sécurité Sociale (un truc qui devrait être remplacé par des élections en bonne et due forme, où les assurés sociaux décideraient) et d’autres documents aussi (publications de France Stratégie, de la DARES, de l’INSEE et j’en passe) n’est pas forcément aisé mais c’est la seule voie possible.
C’est comme pour la musique.
Avant d’être un virtuose du piano ou du saxo, faut se manger du solfège…
Ensuite, réfléchir.
Parce que les recettes fiscales de tant ou de tant, utilisées à tel ou tel objet, c’est bien gentil, mais tout cela sert à quoi ?
Là, comme on l’a vu, des masses entières de recettes fiscales de l’Etat sont utilisées à maintenir un certain nombre de travailleurs et de travailleuses dans une situation de précarité professionnelle ou de médiocrité salariale, ne reconnaissant pas les qualifications réelles, méprisant de fait la réalité des savoirs faire comme des désirs et des attentes.
Devons – nous continuer dans cette voie ?
N’est – ce pas là l’un des enjeux clé de tout débat politique réel, pas des simagrées auxquelles nous avons assisté ?
Ah oui, je n’ai pas parlé de la « mécanique de l’impôt » mais il faut quand même dire ici qu’en vertu des principes de remboursement et dégrèvement du droit fiscal, l’Etat reverserait cette année aux entreprises environ 99 Mds d’euros, notamment pour la TVA dite déductible…