Le débat politique est marqué depuis plusieurs années par une controverse sur la « répartition des richesses », controverse qui a fourni un terreau aux initiatives de lutte contre la fraude fiscale mais aussi, d’une certaine manière, à une sorte d’explication un peu trop simplificatrice des inégalités sociales générées par le mode de production en vigueur.
Une revue, qui se consacre en général à l’analyse des activités des milieux d’affaires, vient de publier son classement annuel des plus grandes fortunes professionnelles de notre pays, à l’instar de ce que font depuis plusieurs années un certain nombre de titres de la presse économique étrangère.
Les fortunes retenues dans ce « classement » se définissent comme des fortunes professionnelles.
Cette précision, pour le moins utile, permet d’éviter la confusion entre patrimoine d’affaires et patrimoine privé et permet de rappeler que, par exemple, le patrimoine de Bernard Arnault est composé par ses propres titres dans la Financière Agache (le holding de tête de LVMH) mais aussi par ses biens privés, parmi lesquels on distinguera son hôtel particulier parisien (situé près de l’Archevêché, de l’ancien siège du Conseil régional Ile de France et du Lycée Victor Duruy), son château des Yvelines et sa villa tropézienne avec tennis, plage et crique privés.
Pour illustrer notre propos, rappelons que ces petits colifichets seraient susceptibles de prendre place dans l’assiette d’un impôt sur la fortune rétabli dans sa pleine efficacité d’avant 2017 quand les biens professionnels (la Financière Agache) en seraient exonérés.
Une exonération de 203 Mds d’euros, à la valeur retenue par notre magazine, ce qui représenterait, au tarif ISF 2016, une moins value de plus de plus ou moins 3 Mds d’euros pour les comptes publics.
Regardons donc la situation des dix premiers du classement.
Pour LVMH, avec toutes ses marques (Dior, Louis Vuitton, Moet et Chandon, Sephora, Ruinart, Guerlain, Kenzo, etc.), nous sommes donc à 203 Mds d’euros pour la famille Arnault, en hausse de 54 Mds d’euros en 2022, dans le droit fil de la progression de la place boursière de Paris.
En deuxième position de notre classement, nous avons l’excellente et discrète famille Hermès, propriétaire de longue date de la fameuse marque de sellerie et de maroquinerie dont la fortune atteint fin 2022 la valeur de 137, 8 Mds d’euros, en progression de 59,1 Mds d’euros sur l’année précédente.
Moins médiatiques que Bernard Arnault et les membres de sa famille, les Hermès se sont donc installés en tête de la cote de la Bourse de Paris, dépassant, avec près de 200 Mds d’euros, la capitalisation de Total Energies et de Sanofi…
En troisième position, on retrouve la famille Wertheimer, dont le nom n’évoque pas forcément grand-chose à chacun mais qui ont partie liée, depuis des années, avec le devenir du groupe Chanel.
La position de la France sur le marché du luxe a permis, en 2022, à cette vénérable famille de la jet set (Alain Wertheimer est né et vit à New York) de voir sa fortune passer de 80 à 100 Mds d’euros, progression tout à fait honorable en ces temps troublés.
En quatrième position, figure ensuite Françoise Bettencourt Meyers, fille unique et héritière du groupe l’Oréal, dont la fortune personnelle constitue une partie de la capitalisation de son groupe multimarques aujourd’hui évaluée à plus de 215 Mds d’euros.
Compte tenu de ses parts, Françoise Meyers disposait fin 2022 d’une fortune professionnelle de 77,2 Mds d’euros, au lieu de 62,4 Mds d’euros en 2021.
Une hausse de 14,8 Mds qui n’a rien de cosmétique pour l’héritière d’André et Liliane Bettencourt…
Après ce « carré d’as » du luxe qui tend à devenir une spécialité française, nous trouvons en 5e position la famille Saadé, exploitant entre autres la CMA – CGM qui avait connu, en sortie de pandémie Covid, une véritable explosion de sa valeur passée en un an de 6 à 36 Mds d’euros.
La progression 2022 est plus modeste (hausse de 3 Mds d’euros seulement) mais les perspectives intéressantes.
Confronté à des résultats financiers somme toute peu probants dans le domaine audiovisuel (Canal Plus, C News, Europe 1), le groupe Bolloré est en passe de se libérer d’une bonne partie de ses activités logistiques et, notamment, tout ce qu’il avait construit en Afrique en venant par exemple concurrencer la CFAO, ancienne filiale du groupe Pinault, aujour d’hui contrôlée par le groupe Toyota.
Pour les Saadé, les concessions portuaires de Bolloré en Afrique sont une cible idéale au renforcement des activités maritimes du groupe.
Pour les cinq familles classées ensuite (Dassault, Pinault, Mulliez, Castel et Besnier), la dernière année a constitué, au mieux, une année de « consolidation », leur fortune cumulée représentant une somme de 110,7 Mds d’euros, au lieu de 111,8 Mds l’année d’avant.
Le tout avec des réalités contrastées.
Ainsi Auchan (holding familial de 800 personnes où doit exister un pacte d’actionnaires pour éviter certaines impositions) a dépassé les 100 Mds de chiffre d’affaires en 2022, situation en grande partie due au dynamisme d’enseignes comme Leroy Merlin, Décathlon, Kiabi ou Boulanger, mais est aussi confronté à une exposition au risque « russe » qui devrait conduire à provisionner en pertes sèches les prises de participation dans les entreprises du pays.
Notons pour l’humour, peut être, que Castel, vendeur par excellence de vins et d’alcools a dépassé en valeur la famille Besnier, devenu pourtant le numéro un du lait et de quelques uns de ses produits transformés.
On rappellera ici que la fortune de Castel a aussi tenu au chiffre d’affaires dégagé par l’activité d’embouteillage et de vente d’eaux minérales et de source, notamment celle de la marque Cristaline.
Ensuite, si l’on appréhende les dix premières fortunes professionnelles de notre pays, on se retrouve donc avec un total de près de 670 Mds d’euros, en progression de près de 150 Mds d’euros sur l’année précédente.
On pourrait se demander si cela s’est ressenti sur la fiche de paie des salarié-e-s des groupes concernés, à tout le moins dans les mêmes proportions…