élections en Inde

VICTOIRE FRAGILE DES HINDOUS INTEGRISTES

Quand l’Union Indienne, dans la diversité de ses peuples, de ses
langues, de ses climats, décide d’organiser des élections législatives, cela
nécessite de prévoir un calendrier de déroulement des opérations
électorales sur plusieurs semaines, compte tenu de l’importance du nombre
des citoyens et citoyennes, parfois de la taille ou de la population des
circonscriptions électorales.
Ainsi, le Premier Ministre Narendra Modi, élu de la 77 e
circonscription de l’Uttar Pradesh (correspondant peu ou prou à la ville de
Varanasi et ses environs) a été réélu cette année avec 612 970 voix, contre
460 457 suffrages pour son adversaire membre du Parti Indien du Congrès,
le parti historique de l’Indépendance de l’Inde, celui de Nehru, d’Indira
Gandhi et de ses fils.
Le tout dans un électorat de 1 130 143 électeurs et électrices.
Pour les 543 sièges du Lok Sabha (la chambre dite basse), on
comptait rien moins que près de 970 millions d’électeurs, convoqués entre
le 19 avril et le 1 er juin.
Lors du précédent scrutin, tenu selon les règles du « first past to
post » propre aux élections à la sauce anglaise (système appliqué au
Canada, aux USA, au Royaume Uni ou en Nouvelle Zélande), le BJP de
Narendra Modi était arrivé largement en tête avec plus de 229 millions de
voix et 303 députés sur 543.
Ce mode d’élection dit FPTP est évidemment un puissant vecteur
pour conduire au bipartisme sur l’échiquier politique et favoriser toute
alliance susceptible de contourner cette difficulté.
Le moindre écart observé en termes de voix peut, selon les
configurations, se traduire par un très sensible écart en sièges.
Ainsi du BJP qui, en 2019, a obtenu grosso modo le double de voix
du Congrès mais surtout 303 élus contre 52 au parti historique.

Les alliés du BJP au sein de l’Alliance Démocratique Nationale ont
ajouté 50 députés au total du mouvement hindouiste, très largement
vainqueur dans certains Etats clé comme l’Uttar Pradesh (62 députés élus),
le plus important des Etats de l’Union couvrant l’essentiel de la plaine indo
gangétique, le Gujarat (25 sièges sur 25), l’Haryana (10 élus sur 10), le
Karnataka (26 élus), le Madhya Pradesh (23 élus), le Maharashtra (23 élus
plus 13 élus du Shiv Sena, parti allié, sur 48), le Rajahstan (24 élus sur 25),
sans oublier le district fédéral de New Delhi où le BJP a raflé les 7 sièges.
L’opposition politique s’exprime au travers du Congrès, des deux
principaux partis communistes (Parti communiste d’Inde et Parti
communiste marxiste) qui jouissent d’une relative influence nationale et
d’un certain nombre de partis, allant du centre à l’extrême gauche, dont
l’influence est souvent régionale.
Ainsi en est il du Samajwadi Party, parti défendant notamment les
intérêts des Yadav (caste intermédiaire dans le système social hindouiste
de paysans modestes) qui a présente plus de soixante candidats dans le seul
Uttar Pradesh, non, sans un certain succès, au demeurant.
La même observation vaut pour le All India Trinamool Congress,
présent au Bengale Occidental ou pour le Dravida Munnetra Kazhagam,
influent au Tamil Nadu (où le parti avait recueilli 23 élus et plus de 14
millions de suffrages en 2019).
L’Alliance progressiste unie, constituée autour du Congrès, n’avait
décroché que 91 sièges en 2019, très loin par conséquent de la coalition
Modi.
Et le Front de Gauche, constitué autour des communistes, avait
recueilli 6 sièges tandis que le Samajwadi avait décroché 15 sièges avec
ses alliés.
Pour faire pièce à la domination du BJP, ces forces se sont réunies
cette année dans une Alliance Inclusive de la Nation Indienne pour le
Développement (en anglais, INDIA).

Ce « Frente amplio » version indienne regroupe 26 partis et
mouvements politiques, la plupart n’ayant au demeurant, comme nous
l’avons vu, qu’une influence locale, limitée à quelques Etats, voire un seul.
La campagne électorale de cette année, comme toujours émaillée
d’incidents et de violences, a conduit à une stabilisation de la participation
aux alentours des deux tiers du corps électoral.
Elle traduit la situation d’une société profondément inégalitaire, où la
violence est présente, malgré des signes de développement économique
réel et l’émergence d’une nouvelle classe bourgeoise urbaine.
En témoigne par exemple un commerce extérieur où l’importation
d’hydrocarbures (notamment de Russie et de Chine) dégrade un solde en
partie redressé par l’exportation de produits pétroliers raffinés…
Par ailleurs, le parti au pouvoir a été mis en cause dans un système de
financement politique plus ou moins « gris »alimenté par des dons
d’entreprise…
Le BJP n’a pas vraiment subi de conséquences de cette situation
puisque le parti retrouve 36,56 % des voix et capitalise près de 236
millions de suffrages populaires.
Mais ce résultat ne préserve pas le parti de Narendra Modi de perdre
rien moins que 63 sièges au regard du Parlement sortant.
C’est, de fait, la progression en voix ( et l’élargissement )des partis
de l’opposition qui cause les malheurs de l’Alliance majoritaire.
Le Congrès est passé de 19,5 à 21,2 % des votes, et d’environ 120
millions à près de 137 millions de voix, une évolution suffisante pour
passer de 52 à 99 députés.
Le All India Trinamool Congress est passé de 24,9 à 28,2 millions de
voix, obtenant 29 élus au lieu de 22.
Le Parti communiste marxiste d’Inde (une scission issue des tensions
durant les années 60 entre Chine et URSS) a gagné 600 000 voix et un

siège (4 au total), quand le Parti communiste d’Inde conservait ses deux
sièges.
Le courant communiste, objet de divisions dans le pays, connaît aussi
l’élection de deux députés du Parti communiste de l’Inde (Marxiste
Léniniste tendance Libération) dans l’État de Bihar (capitale Patna),
peuplé de plus de 100 millions d’habitants à lui seul.
Cet Etat, en 2019, avait élu 34 BJP et alliés contre 6 députés d’autres
obédiences.
Cette année, seul un indépendant a entamé la forteresse située à la
frontière avec le Bangla Desh.
Mais la plus nette progression, outre celle du Congrès, affecte le
Samajwadi Party, qui passe de 15,4 à 29,5 millions de suffrages et enlève
37 sièges en Uttar Pradesh au lieu de 5.
Cette évolution s’est faite aux dépens du BJP (33 sièges perdus), du
BSP (6 sièges perdus sur 6), de l’ADAL (1 siège perdu pour l’allié du
BJP), tandis que le RLD, allié du BJP a recueilli 2 élus et compensé
relativement les pertes enregistrées.
Au total, sur l’ensemble de l’Union, l’ADN se retrouve avec 293
élus, en chute donc de 60 sièges.
Les partis perdants de l’Alliance sont le BJP, le Janata Dal (United)
qui perd 4 élus, le Shiv Sena, parti d’extrême droite, (- 11 sièges dont 5
perdus au profit de la scission du parti, qui s’est rapprochée de
l’opposition) et le Congrès nationaliste indien (4 sièges perdus sur 5).
La coalition INDIA a donc clairement renforcé ses positions en
obtenant 234 députés et nombre de succès intéressants pour la suite.
Ce qui fait que le « split » de la Lok Sabha concerne peu ou prou 200
sièges…

Comme nous l’avons vu, les principaux bénéficiaires de l’union de
l’opposition sont le Congrès, le Samajwadi, l’AITC au Bengale et la
scission de gauche du Shiv Sena sur le Maharashtra (région de Mumbai).
Le caractère assez hétéroclite de l’alliance constitue, de toutes
manières, une limite pour un exercice qui s’annonce périlleux, notamment
dans un contexte international évolutif où l’Inde est appelée à être l’un des
principaux acteurs de « l’autre communauté internationale » en dehors du
monde occidental.