On est bien obligé de constater aussi que cette vision de la fraude sociale, mettant en discussion les prestations servies, et singulièrement le revenu de solidarité active ou le versement des retraites aux anciens travailleurs immigrés qui ont construit une bonne partie de notre économie (outre nos routes, nos équipements publics et notre parc de logements), promène avec elle quelques relents assez peu ragoûtants qui tend bien souvent à de douteux amalgames.
On observera cependant que ce qui pose problème est peut être dans la conception générale de l’action sociale dans ce pays, où le champ d’intervention des allocations familiales, à l’origine centré sur l’aide universelle aux familles à raison du nombre d’enfants qu’elles comptaient, s’est peu à peu étendu et singulièrement par la création de prestations « de guichet » accordées sous conditions de ressources.
La Caisse Nationale d’Allocations Familiales distribue aujourd’hui plus ou moins 100 Mds d’euros d’allocations et de prestations dont la plus grande partie est liée à la situation de ressources des familles.
Les allocations familiales de caractère générique, accordées à compter du deuxième enfant, ne pèsent ainsi que pour 13 % environ des prestations servies par les CAF, le solde étant, en général, accordé sous conditions de ressources (RSA, allocations logement, allocation de rentrée scolaire, prime d’activité, par exemple).
En 2022, les services de la CNAF ont récupéré environ 351 millions d’euros de prestations indues, c’est à dire environ 0,35 % des prestations services.
Quant aux cas de fraude avérée, leur nombre (moins de 50 000) est à rapporter aux 13,6 millions de comptes ouverts.
On se retrouve là encore avec une fraude concernant 0,4 % des allocataires.
La nature des prestations sociales ainsi financées est donc à la fois de contribuer au « pouvoir d’achat » des familles les plus modestes, mais aussi de constituer une sorte de « soupape de sécurité sociale » sur les inégalités qui ravagent notre pays.
A ce stade, nous pourrions oublier un peu vite que la fraude sociale, nonobstant le champ qu’elle concerne (santé, famille, vieillesse), est d’abord une fraude aux ressources.
Le langage de vérité qu’il convient d’avoir avec la fraude sociale est celui qui met en évidence que le travail dissimulé, ou travail au noir, est une forme de concurrence déloyale entre les entreprises et, surtout, la perte de plusieurs milliards de cotisations pour les organismes sociaux.
Un langage de vérité qui fait de l’inégalité salariale entre les hommes et les femmes un élément de cette délinquance ordinaire que constitue la fraude sociale.
Délinquance ?
Mais que dit le code du travail, au fait ?
Quand l’article L 1142 – 1 dispose ainsi que
Sous réserve des dispositions particulières du présent code, nul ne peut :
1° Mentionner ou faire mentionner dans une offre d’emploi le sexe ou la situation de famille du candidat recherché. Cette interdiction est applicable pour toute forme de publicité relative à une embauche et quels que soient les caractères du contrat de travail envisagé ;
2° Refuser d’embaucher une personne, prononcer une mutation, résilier ou refuser de renouveler le contrat de travail d’un salarié en considération du sexe, de la situation de famille ou de la grossesse sur la base de critères de choix différents selon le sexe, la situation de famille ou la grossesse ;
3° Prendre en considération du sexe ou de la grossesse toute mesure, notamment en matière de rémunération, de formation, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle ou de mutation.
(fin de citation)
Le langage de vérité sur la fraude sociale, c’est aussi celui qui veut que la plupart des minima conventionnels de branche se situent en dehors des clous et, singulièrement ces temps derniers, aient quelque peine à suivre l’évolution du salaire minimum interprofessionnel de croissance .
L’exemple vient de haut : dans la fonction publique territoriale, au niveau du cadre C (agents d’exécution), il existe six indices de rémunération inférieurs au SMIC…
Le langage de vérité sur la fraude sociale, outre les arguties du style « accidents du travail non déclarés » (cette branche est assez régulièrement en excédent financier depuis plusieurs années), c’est aussi de trouver la non rémunération, au juste prix, des horaires décalés ou atypiques qui assimilent par exemple les temps de service du soir, du samedi ou du dimanche à des horaires de travail « normal », sans parler des heures supplémentaires oubliées…
Le langage de vérité sur la fraude sociale, pour faire bref, ce sont donc tous les petits arrangements avec la loi et le droit que s’autorisent les entreprises et les chefs d’entreprise, notamment en absence de dialogue social digne de ce nom dans la structure.
Surtout quand nombre d’entreprises sont privées de la moindre instance de représentation du personnel (comité social et économique, délégué syndical, délégué du personnel).
Pour la fraude fiscale, la source principale identifiable demeure l’activité économique elle même et notamment les montages plus ou moins complexes qui peuvent être constitués à partir de la circulation des biens et services et singulièrement de la TVA, entre les divers pays de la zone euro, de l’Union Européenne au sens large et de l’Espace Economique Européen (cette notion couvrant, par exemple, les opérations menées à partir de ou en Suisse).
Il y a sans doute de la marge de lutte contre la fraude à combler toutes les distorsions procédant de la « location « de marques commerciales connues (comme Coca Cola ou Philip Morris, par exemple, sans parler des GAFAM) et des prix de transfert infra groupes.
Pour ceux qui l’auraient oublié, une bonne partie des filiales étrangères de tel ou tel groupe ne sont que des sociétés à pure visée commerciale, sans mission de production dans le pays d’implantation.
Ne pas oublier également les conséquences du « shadow banking », c’est à dire du financement externe des investissements d’une entreprise x par la maison mère (ou holding) dont elle peut dépendre.
Enfin, et c’est notamment vrai pour la fiscalité des particuliers, reste la dissimulation pure.
Une dissimulation qui dispose d’outils et de bases arrière, notamment les précieux comptes bancaires à numéros, totalement chiffrés, et dont les détenteurs ne sont connus que du banquier lui même.
Des bases arrière parfois assez peu éloignées de nos frontières…
Cela peut se passer dans la quiétude feutrée d’un office notarial, conseillant de sous évaluer tel bien immobilier assujetti à l’impôt sur la fortune immobilière, mais aussi par le port franc de Genève, où l’on ne regarde pas ce qui est enfermé à fond de cale dans les bateaux amarrés ou encore les « trusts » jersiais, structures de prise en pension pour patrimoine à valoriser en toute discrétion.
Dans cette île d’un peu plus de 100 000 habitants au large du Cotentin, on gère ainsi plusieurs centaines de milliards d’euros d’actifs (pas loin de l’équivalent du budget de l’État français) et on assure de la sorte 40 % de l’emploi local…