Les législatives 2022 ont été marquées par un certain nombre d’événements jusqu’ici inobservés.
Sans prétendre épuiser le sujet, cet article entend tracer quelques lignes directrices.
PARTICIPATION ET ABSTENTION DIFFERENTIELLE
Premier événement : une participation d’une faiblesse particulière, avec un taux d’abstention devenu majoritaire au premier tour avec 52,5 % du corps électoral de manière générale (51 % en métropole) et près de 54 % au second tour, avec augmentation du nombre des bulletins blancs et nuls.
Lors du premier tour, pour la seule Métropole, on comptait moins de 500 000 bulletins ainsi libellés et on dépasse le million et demi au second tour.
De ce point de vue, le scrutin de juin 2022 se situe dans la tendance observée depuis l’inversion du calendrier électoral, plaçant depuis 2002 le scrutin législatif quelques semaines après le scrutin présidentiel.
Lors des quatre premières éditions de cet « ordre des choses », les législatives avaient été marquées par une confirmation du scrutin présidentiel (au moins au premier tour), caractérisée par une désaffection des urnes de l’électorat des partis et mouvements battus lors du scrutin présidentiel.
Cette « abstention différentielle » n’a pas été observée de la même manière cette année et a conduit, entre autres causes, au résultat constaté.
On n’oubliera pas, cependant, que, pour la première fois, l’élection portait sur la « majorité » d’un Président réélu.
CONSEQUENCES PAR FORCES POLITIQUES
De fait, avec une situation de cette nature, on parvient à s’interroger sur les effets de l’abstention différentielle sur les résultats obtenus par chaque grande force politique.
De ce point de vue, c’est l’électorat présidentiel qui présente la meilleure mobilisation, avec 5 667 888 voix (calculs du Monde plus fiables que les chiffres ‘maquillés » par le Ministère de l’Intérieur) pour 9 391 090 voix pour Emmanuel Macron lors du premier tour de la présidentielle, soit un taux de 60,3 %
La gauche rassemblée dans la NUPES a mobilisé 5 772 653 votes, sur 10 229 105 suffrages obtenus par les quatre candidats qui ont participé à l’alliance, soit une mobilisation de 56,4 %.
Enfin, le Rassemblement National, avec 4 250 253 voix, a mobilisé 53 % des 7 934 520 électeurs de Marine Le Pen lors du scrutin présidentiel.
Cette performance des candidatures d’extrême droite est à rapprocher de celles réalisées dans le passé et notamment, depuis 2002 et la première qualification du parti pour le second tour de la présidentielle.
En 2007, aspiré par le vote Sarkozy, le vote Le Pen s’était fortement étiolé lors du scrutin législatif, avec un taux de mobilisation d’environ 30 % et un score national inférieur à 5 %.
En 2012, la mobilisation lepéniste était plus forte avec une mobilisation de 55 % des électeurs de la présidentielle en apparence.
En 2017, après la qualification de Marine Le Pen au second tour, la performance aux législatives fut moins pertinente avec seulement 39 % de mobilisation des électeurs du premier tour de la présidentielle.
La performance de 2022 est donc plutôt bonne, même si elle est plus faible que celle des deux autres « grands blocs » que sont la coalition Ensemble et la gauche rassemblée sous l’étiquette NUPES.
Il importe aussi de souligner que c’est la première fois que le RN dépasse les 15 % au scrutin législatif, ce qui offre moult possibilités de se retrouver au second tour.
Le résultat a conduit à la présence de 208 candidats du RN pour ce second tour, essentiellement dans des duels alors qu’en 1997, lors des dernières législatives déconnectées de la présidentielle, le parti avait engagé 130 candidats dont une partie importante dans des triangulaires souvent favorables à la gauche, in fine.
Pour le camp macroniste, la chute de la mobilisation est forte avec un taux de 60,3 % pour un taux de 84,6 % en 2017 qui avait favorisé les succès d’En Marche lors de l’attribution des sièges de député.
Cette chute du total de votes (plus de 3,5 millions de votes) en faveur des partis rassemblés sous l’étiquette « Ensemble » a conduit à la perte, dès le premier tour, d’une quarantaine de sièges acquis en 2017 !
L’exemple ultime en est fourni par une circonscription parisienne, comportant l’essentiel du 19e arrondissement, qui a élu au premier tour une députée de la France Insoumise, après avoir élu en 2017 un élu de la République En Marche.
La nouvelle députée, battue en 2017, a quasiment triplé le nombre de ses voix du scrutin précédent et réuni, le 12 juin, environ les deux tiers des votes des voix des quatre candidats des partis associés dans la NUPES lors de la présidentielle.
L’impétrant macroniste a perdu 5 900 votes sur le score de 2017 et, surtout, n’a pu rassembler que 58 % environ de l’électorat présidentiel d’Emmanuel Macron.
Cette abstention différentielle, dont la mesure concerne moins les autres forces politiques comme les Républicains ou Reconquête, est donc à appréhender au cas par cas pour mesurer certains des ressorts des résultats enregistrés lors du scrutin législatif.
La perspective, sur le terrain, du succès de telle ou telle candidature, s’agissant de cette question de l’abstention différentielle, nous rappelle que la performance des candidats d’Ensemble, de l’alliance de gauche ou du RN est une moyenne et qu’elle implique donc une distribution diverse selon les endroits et les enjeux.
Ainsi, Marine Le Pen, candidate de la présidentielle, a obtenu 29 691 voix dans la 11e circonscription du Pas de Calais, et Marine Le Pen, candidate à la députation, a recueilli 21 219 voix (soit 71,5 %) lors du scrutin législatif sur le même territoire.
A contrario, Le Pen candidate a réuni 4 992 votes dans la 8e circonscription du Val d’Oise, structurée autour de Sarcelles et Garges les Gonesse, et Véronique Mérienne, candidate RN, 1 998 suffrages au premier tour de la législative sur le même territoire.
Soit une mobilisation de 40 % environ…
Une telle situation, de manière générale, sous – tend les efforts accomplis par telle ou telle force politique dans le cadre de la campagne électorale et traduit, semble t – il, la réalité de son implantation et de la qualité (ou non) de son organisation.
Pour conclure sur ce chapitre, on relèvera que le scrutin législatif de juin a modifié la distribution des cartes à droite entre Les Républicains, Reconquête et Debout La France.
Lors du scrutin présidentiel, Eric Zemmour a obtenu 2 408 575 votes en Métropole, Valérie Pécresse 1 625 162 votes et Nicolas Dupont Aignan 698 083, soit un ensemble de 4 731 820 suffrages, inférieur au score de François Fillon lors du scrutin présidentiel et à peine supérieur au total des voix LR – divers droite et DLF des législatives 2017.
Lors du scrutin législatif, les Républicains ont réuni 2 313 348 voix en Métropole, Reconquête 944 017, les divers droite 468 555 et DLF 243 023 suffrages.
Soit un ensemble de 3 968 943 votes, se situant en dessous du total de la présidentielle et sujet, de fait, d’une forme de « réalignement » des forces au profit des Républicains, conséquence « naturelle » de leur implantation, même réduite.
Mais comme on atteint un taux de « mobilisation » de près de 84 % sur le scrutin présidentiel, il est aussi probable qu’une partie de l’électorat Le Pen du 10 avril soit revenue au bercail de la droite « classique » le 12 juin…
LA POSITION DU RN
Evidemment, la performance globale du Rassemblement National a beaucoup fait parler.
Même si ce qui a tant fait couler d’encre et parler les spécialistes médiatiques de notre vie politique se contente de représenter une progression, sur l’ensemble des circonscriptions, de 373 154 suffrages sur la meilleure performance électorale du FN/RN jusque – là, à savoir le scrutin anticipé de 1997.
Mais plus d’un million deux cent mille sur l’élection de 2017, provoquant le dépassement de deux « taquets » précis : d’une part, le seuil de 15 % des votes et, d’autre part, celui des quatre millions de votes.
C’est là qu’une progression qui ne semble qu’arithmétique devient en fait plus géométrique, en application de la loi des grands nombres.
Il faut donc revenir sur la « géographie » dessinée par les résultats de ce point de vue.
La boutique lepéniste a en effet produit cette année rien moins que 89 députés, et peut être même plus si on ajoute la réélection de l’épouse de Robert Ménard à Béziers, dans une Région déjà passablement occupée par le vote d’extrême droite.
La répartition des 89 députés RN est intéressante.
Elle se concentre d’abord et avant tout dans quatre régions.
D’une part, la région des Hauts de France, avec 20 élus (sur les 50 de la Région).
Le parti obtient des élus dans les cinq départements et enregistre également dans ce cadre son seul échec sur un siège sortant (la 3e circonscription du Pas de Calais).
Il est première force politique dans l’Aisne, dans l’Oise, la Somme, le Pas de Calais où il ajoute aux sièges de l’ex bassin houiller (à l’exception de la 3e, donc) un siège rural dans l’Arrageois et l’un des sièges de la Côte et dispose désormais de six élus dans le Nord dont, pour la première fois, un élu sur le territoire de Lille Métropole.
Deuxième région de force du RN ; la région Provence Alpes Côte d’Azur, où il domine largement dans le Var (avec 7 sièges sur 8), le Vaucluse (4 élus sur 5, seul le pays d’Apt lui échappant), et des positions fortes dans les Alpes Maritimes (3 élus sur 9), dans les Bouches du Rhône (6 élus sur 16, notamment dans l’ex bassin houiller de Provence, à Marignane, en Arles et à Aubagne) et, pour la première fois, un élu dans les Alpes de Haute Provence (1ere circonscription constituée autour de Digne).
A noter cependant que le RN, en cas de municipales, aurait été battu dans le secteur 7 de Marseille (13e et 14e arrondissements), tandis que la gauche aurait remporté cinq secteurs de la cité phocéenne sur huit.
C’est la région Occitanie qui fournit, ensuite, le troisième contingent d’élus pour le Rassemblement National.
La percée est sensible dans le Gard (4 élus sur 6 pour le RN), l’Hérault (2 élus, avec en sus, le siège de Béziers), mais surtout l’Aude, terre historique du socialisme français (3 élus sur 3) et les Pyrénées Orientales (4 élus sur 4).
Au-delà de cette percée dans l’ancien Languedoc Roussillon (13 élus sur 22 pour le RN), le RN a obtenu également un élu dans le Tarn et Garonne (2e), confirmant sa victoire municipale de Moissac ; un dans le Tarn (1ere), sur un territoire partagé entre Albi et Castres…
La cité cathare a cependant accordé une majorité de votes à la gauche lors de ces élections.
La quatrième région accordant une place particulière au RN est la région Grand Est.
Le parti marino lepéniste fait élire une députée dans la Marne, deux députés dans l’Aube, les deux sièges de la Haute Marne, un élu dans la Meuse (sur le siège de Verdun) et trois en Moselle, le long de l’ancien bassin houiller et ferrifère de Lorraine.
On notera que, malgré le niveau de déclin économique et démographique de ces territoires, le RN échoue à faire élire des députés dans les Ardennes ou le Nord de la Meurthe et Moselle.
Autre résultat posant question : l’incapacité du RN à obtenir le moindre élu en Alsace et dans les Vosges, alors que ces régions avaient constitué, dans les dernières décennies du XXe siècle, un des points forts du mouvement.
Dans les quatre régions ainsi décrites, le RN a donc obtenu un total de 65 élus, l’emportant donc dans 24 autres circonscriptions sur le reste du pays.
Il y a d’abord les ensembles où le parti lepéniste n’a pas d’élu, à savoir l’Outre – Mer (un seul candidat en Guadeloupe, battu au second tour dans la 3e), les Français de l’Etranger, la Corse, la Bretagne et les Pays de Loire.
Dans cette dernière région, bien qu’aucun candidat RN ne se soit qualifié avec plus de 25 % des voix, deux sièges sarthois (La Flèche et Sablé sur Sarthe) auraient pu lui échoir, ses candidats dépassant les 49 % au second tour.
On se retrouve ensuite avec 4 élus RN en Normandie, tous élus dans le seul département de l’Eure, comme une sorte de prolongement des scores élevés observés dans l’Oise voisine ou certaines communes du Vexin français.
On trouve aussi 5 élus en Bourgogne Franche Comté, allant par deux dans l’Yonne (les deux sièges de Sens, le plus au contact de la région Ile de France et d’Auxerre) et la Haute Saône qui fut pourtant, il y a peu, fief du PS qui y dominait le conseil général et disposait des deux sièges de sénateur.
Le tout complété par un siège dans le Doubs, sur le territoire du pays de Montbéliard et, dans le cadre précis, par un effondrement de la participation (duel RN/REM) sur le bassin d’emploi « Stellantis », sensible entre autres à Audincourt, Valentigney ou Sochaux.
En Région Auvergne Rhône Alpes, les succès du RN restent limités à 4 sièges.
Un siège sur le secteur du Nord Isère (dans la 6e circonscription, organisée autour de Bourgoin Jallieu, Charvieu Chavagneux ou encore le pays de Morestel et l’Ile Crémieu), un siège dans la Drôme (la 2e circonscription, autour de Montélimar, Pierrelatte, Livron et Loriol sur Drôme, Donzère, le tout sur un siège jadis représenté par Eric Besson), un siège dans l’Ain (la 4e, sur une partie de la Bresse) et un dans l’Allier (sur le bassin de Montluçon).
Pas d’élus, par contre, ni dans les deux Savoie, ni dans le Rhône ou la Loire, et moins encore dans le Puy de Dôme.
Le RN a également obtenu 6 élus en région Nouvelle Aquitaine, où il décroche les deux sièges du Médoc et du Blayais en Gironde, les sièges de Nérac/Marmande et Villeneuve sur Lot dans le Lot et Garonne, le siège de Bergerac en Dordogne (où la division à gauche a éliminé près de 40 % des électeurs au premier tour) et celui de Confolens en Charente (pour les mêmes raisons qu’à Bergerac).
Echec total dans l’ancien Limousin, par contre.
Dans la région Centre Val de Loire, le RN a décroché deux sièges dans le Loiret et, signe des hasards de la vie politique, récupéré pour son compte le siège solognot détenu jusqu’alors par Guillaume Peltier, porte – parole de Reconquête, le parti d’Eric Zemmour.
Et l’on termine le tour d’horizon avec les deux sièges arrachés en Ile de France, l’un en Seine et Marne, sur Meaux (6e) et l’autre en Essonne (2e), sur le siège défini autour d’Etampes.
Le premier est limitrophe de l’Aisne, très largement acquis au RN, et d’une partie du Val d’Oise où le RN a été présent, sans gagner toutefois, au second tour.
Le siège étampois est proche du Loiret qui a élu deux députés RN.
Cette forme de continuité territoriale offre, semble t il, l’une des explications au relatif succès des candidatures lepénistes.
Il conviendrait, de fait, de s’interroger sur la sociologie des territoires qui ont élu des députés lepénistes.
Parce que ce ne sont pas tous de vieux secteurs ouvriers vieillissants comme peuvent l’être les circonscriptions du Nord Pas de Calais, de la Haute Marne ou de la Haute Saône.
Nous verrons tout cela dans un prochain article.