Nous avons reçu ce texte d’un ami de banlieue Nord.
Cela fait quelques jours qu’à l’initiative de l’un de nos amis les plus chers, le débat s’est ouvert sur le petit événement politique que va constituer la « Primaire populaire ».
Promue à l’initiative de jeunes trentenaires par ailleurs eux mêmes engagés dans certains combats (singulièrement ici le dialogue inter religieux et la lutte contre le changement climatique), cette Primaire vise l’intention de départager, si l’on peut dire, les candidats et aspirants candidats de la présidentielle venus du flanc gauche de l’échiquier politique.
Une visite du site de l’initiative nous indique qu’à partir d’un socle commun reprenant des propositions de treize partis et mouvements de gauche et écologistes (je cite)
130.000 citoyens et citoyennes parrainant et proposent les personnalités qu’ils et elles veulent voir au vote de la Primaire Populaire.
Le 11 octobre, la Primaire Populaire présente les 5 hommes et les 5 femmes ayant reçu le plus de parrainages : Anna Agueb-Porterie, Clémentine Autain, Gaël Giraud, Anne Hidalgo, Yannick Jadot, Pierre Larrouturou, Charlotte Marchandise, Jean-Luc Mélenchon, François Ruffin et Christiane Taubira.
C’est parmi cette liste que figurent les personnalités présentées au vote final, du 27 au 30 janvier.
( fin de citation).
Ce simple rappel, faut il le dire, montre déjà une partie des limites de l’exercice puisqu’il s’agit, de fait, de se conformer aux contraintes mêmes du cadre institutionnel de notre pays.
Car c’est d’abord au regard de ce cadre que l’on peut interroger le processus de la Primaire populaire.
Le socle commun est certes une chose et mérite d’être regardé avec intérêt.
Sans préjuger de ce que je pourrais être amené à dire dessus, et bien que je ne sois pas du tout professeur de mathématiques, disons qu’il se rapproche plus du plus petit commun multiple que de la base d’un large rassemblement.
Mais revenons en au cadre institutionnel.
La Constitution a beau affirmer que (je cite de nouveau)
La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale (article premier)
(fin de citation)
Elle se trouve engoncée dans un cadre institutionnel qui a donné au Président de la République un rôle quasi monarchique, comme si nous n’avions pu, plus de deux cents ans après la Grande Révolution de 1789, réussi à nous débarrasser de la nécessité d’une figure tutélaire de représentation du pouvoir.
Et l’évolution des choses a d’ailleurs fait que cette orientation s’est renforcée avec le temps.
Les phases furent relativement distinctes sur la durée commençant avec le referendum conduisant à l’élection du Président de la République au suffrage universel et, dès le départ, la définition même de modalités peu ordinaires du scrutin.
Car le principe de ne retenir que deux candidats au second tour n’existe alors dans aucun autre scrutin où, sous des conditions diverses, les électeurs disposent d’un choix plus élargi…
La bipolarisation favorisée par l’élection présidentielle va commencer de durablement structurer la vie politique de notre pays, conduisant notamment la gauche, alors divisée fondamentalement entre trois forces politiques d’importance variable, à rechercher les voies et moyens d’une union politique, voire programmatique.
La France des années 60, c’est celle d’un Parti communiste disposant du soutien d’un électeur sur cinq ou sur quatre, selon les scrutins, et gestionnaire d’un certain nombre de villes plus ou moins importantes du pays, à commencer par ce que l’on appelait alors la « banlieue rouge » et qui recoupait, notamment, quasiment tout le territoire de Plaine Commune.
C’est aussi celle d’une SFIO à la recherche d’une forme de renouvellement, la rapprochant des jours heureux de 1936 où Léon Blum en avait fait la première force politique du pays, sujette aux soubresauts des aventures coloniales, conduisant à l’émiettement des forces militantes et aux scissions.
La SFIO, ne l’oublions pas, avait accepté l’arrivée de De Gaulle et Guy Mollet, entre autres, Ministre d’Etat, a apposé sa signature au bas du document constitutionnel originel.
Les socialistes avaient ainsi gagné à cette affaire de ne pas tout à fait disparaître de l’Assemblée Nationale, mais les pertes de certaines places fortes socialistes aux municipales de 1959 et la scission du PSU avaient consommé l’amorce du déclin du « mollettisme ».
A gauche, le PSU était devenu une petite force montante, tandis qu’une nébuleuse de mouvements, clubs et autres tentaient d’entretenir la flamme du « socialisme démocratique à la française ».
A commencer par le Club des Jacobins, le CERES ou encore la Convention des Institutions Républicaines, mouvement lancé par François Mitterrand et Charles Hernu (animateur du Club des Jacobins) pour oeuvrer à la réunion des différentes chapelles de tendance socialiste.
La gauche comportait également à l’époque une composante « radicale et radicale socialiste », bien loin de son aura de la IIIe République, mais qui tenait encore un certain nombre de positions électives importantes et présidait, en la personne de Gaston Monnerville, sénateur du Lot, aux affaires du Palais du Luxembourg.
Souvent opposé au gaullisme pur et dur, le Sénat était aussi un lieu de compromis entre radicaux (réunis dans le défunt groupe de la Gauche Démocratique) et centristes de diverses obédiences.
Dès la première élection présidentielle, faut – il le rappeler, se pose la question de la présence d’un seul candidat de gauche.
L’analyse, tant de la direction de la SFIO que de celle du PCF, est la suivante : l’aura historique du sortant ne laisse en effet a priori aucune chance à une gauche divisée de jouer le moindre rôle dans le scrutin.
D’aucuns sont même convaincus que «le Grand Charles » sera élu sans difficulté dès le premier tour, au bout d’une sorte de scrutin plébiscitaire.
C’est en vertu de ces principes qu’une sorte de modus vivendi est arrêté entre le Carrefour Châteaudun (siège du PCF) et la cité Malesherbes (siège de la SFIO) pour définir une forme de position commune s’arrêtant sur un candidat « commun » acceptable par les deux partis.
C’est donc un tiers candidat, ni PCF, ni SFIO, qui fut choisi pour faire affaire, et ce fut en l’espèce un certain François Mitterrand.
On sait que De Gaulle fut mis en ballottage avant d’être réélu avec 55 % des suffrages, chant du cygne d’un gaullisme intégral qui subira l’affront du referendum d’avril 1969, sorte de prolongement électoral du grand mouvement social du millésime précédent qui n’avait pas trouvé de traduction au fil des élections anticipées de juin, sans doute faute d’un minimum d’accord programmatique entre les forces de gauche.
Ceux et celles qui, comme moi, ont connu cette époque (et l’ont parfois étudié), se souviennent sans doute encore de la gauche divisée au printemps 69 entre plusieurs candidats, à savoir le communiste historique Jacques Duclos, le socialiste SFIO Gaston Defferre, alors Maire de Marseille depuis plus de quinze ans, le PSU Michel Rocard et un jeune candidat d’extrême gauche nommé Alain Krivine, résident de notre ville depuis un certain temps…
Une part non négligeable de l’électorat comme des responsables SFIO, nourris au lait de l’anticommunisme militant, n’a pas voté en faveur de Gaston Defferre, celui – ci étant tombé en effet à … 5,01 % des votes, soit exactement 3 023 voix au – dessus de la barre qui aurait conduit la SFIO à « bouillonner » l’ensemble des dépenses électorales de la campagne.
Ils ont préféré le vote Poher, en faveur du Président du Sénat, d’obédience centriste, élu en 1968 avec le soutien de la droite aux dépens de Monnerville.
Et faisaient d’une pierre deux coups en évitant de permettre au candidat communiste de se retrouver au second tour face à Pompidou.
Notons cependant qu’à la fois en 1968 comme au fil des premières années de la décennie 70, la droite au pouvoir a consenti un certain nombre de réformes diverses et loin d’être secondaires, nonobstant un cadre politique où le parti présidentiel disposait de la majorité absolue au Palais Bourbon.
Il suffit de penser aux textes relatifs aux universités, à l’apprentissage, à la lutte contre le racisme, à l’égalité entre les hommes et les femmes, à la formation professionnelle continue, sans parler des conquêtes sociales issues de mai 68 et traduites dans le code du travail, notamment.
L’aspiration à l’unité des forces de gauche a continué de se manifester, en particulier portée par un mouvement social où le paysage syndical avait été modifié en 1964 par la « déconfessionnalisation » de la CFTC, dont la majorité avait constitué la CFDT, tandis que le mouvement de mai 1968 avait conduit au renforcement massif des organisations.
Le courant socialiste avait continué sa « synthèse », conduisant, au gymnase Léo Lagrange d’Epinay sur Seine (ville devenue socialiste au printemps 71), au « Congrès de l’unité des socialistes ».
Je ne reviendrai pas ici sur la mésaventure de Guy Mollet découvrant au restaurant du Duc d’Enghien une table occupée par Mitterrand, Gaston Defferre, Pierre Mauroy et Jean Pierre Chevènement s’étant accordés sur la manière de prendre en mains le nouveau Parti.
Ainsi réuni, le PS deviendra acteur d’une alliance politique et programmatique avec le PCF, matérialisée en juin 1972, à environ neuf mois du renouvellement de l’Assemblée nationale élue en 1968, par la signature du programme commun de gouvernement de la gauche, comportant un certain nombre de mesures de caractère économique et social tout à fait audacieuses pour l’époque, à commencer par la nationalisation d’une grande partie de l’appareil productif mais aussi du secteur bancaire et financier.
Le scrutin de mars 1973 conduira au renforcement des groupes de l’opposition de gauche au sein de l’Assemblée nationale, la droite étant sauvée en partie par la réalité du découpage électoral, celui ci ayant tendance à la favoriser.
Ainsi, alors que la France connaissait de profondes mutations urbaines, la ville de Paris élisait rien moins que 31 députés pour un peu plus de 2,2 millions d’habitants et la Seine Saint Denis 9 pour 1,3 million.
La circonscription la plus peuplée de France, située dans les Bouches du Rhône, comptait alors environ 190 000 habitants, tandis qu’on avait deux députés en Lozère pour un département comptant au total moins de 75 000 habitants.
Sans parler, évidemment, des élus des archipels de Wallis et Futuna ou de Saint Pierre et Miquelon…
Au plan strictement politique, l’ensemble constitué autour du PS ( l’Union de la Gauche Socialiste et Démocratique) est arrivé légèrement devant le PCF, situation nouvelle au plan des rapports de forces internes à la gauche depuis la Libération.
Lors du scrutin anticipé de 1974, Mitterrand s’imposera a priori comme le candidat le plus à même d’être élu face aux candidats d’une droite divisée entre ses deux courants historiques.
On sait qu’il sera très près d’une élection au second tour, en dépassant les 49 % des votes, n’ayant à gauche que la concurrence des candidats d’extrême gauche, Alain Krivine et Arlette Laguiller, tandis que sera enregistrée la première candidature écologiste, avec René Dumont.
On connait la suite et notamment le scrutin de 1981 conduisant à la victoire de François Mitterrand au second tour d’une élection où s’exprimera la pluralité de la gauche, avec un candidat PS, un candidat PCF, une candidate PSU, un candidat radical de gauche et une candidate LO.
Sans oublier le candidat écologiste désormais habituel.
Un ensemble de facteurs convergents ont mené à la victoire le candidat du PS, et n’en retenir qu’un serait sans doute erroné.
Ce n’est pas seulement parce que certains réseaux chiraquiens ont opté pour le vote révolutionnaire au second tour (contre Giscard) que l’ancien Ministre de la Quatrième République a été élu…
D’autant que la victoire fut d’abord, dans le contexte de la France de 1981, celle de la jeunesse (Mitterrand obtenant plus de 60 % des votes chez les moins de 34 ans) et du monde du travail (les ouvriers et employés ont été, et de loin, les catégories socio professionnelles les plus massivement favorables au vote Mitterrand) face à la France des chefs d’entreprise, du commerce et des patrimoines familiaux jalousement préservés.
Autant dire que la gauche a gagné en 1981 parce qu’elle entretenait un lien particulier, renforcé au fil des luttes et des expériences des années 60 et 70, avec sa base sociale et économique, réunie par l’espérance de lendemains différents…
Dire qu’il conviendrait aujourd’hui, pour la gauche, de débattre, d’agir et de rassembler ce qui lui a permis de l’emporter jadis est une évidence.
Le problème, c’est que 1981 devint, malgré la bonne volonté des uns et des autres, la première expérience du fameux cycle « espérance – illusion – déception » qu’on a pu voir se reproduire entre 1988 et 1993, entre 1997 et 2002 et sans doute pendant le quinquennat de Hollande.
Pourquoi, n’est – ce pas, avoir dénoncé le « monde de la finance » comme principal ennemi, pour finir par mettre en place le crédit d’impôt compétitivité emploi et la loi El Khomri, revenant en bien des points sur les acquis des lois Auroux de 1981 (notamment la création des CHSCT) et même ceux de 1968 et des conquis sociaux obtenus sous des gestions de droite ?
La social – démocratie, en France comme en Europe, est en crise.
J’ai même l’impression que son projet (singulièrement sa dimension européenne) s’est si rudement fracassé à la réalité qu’elle a emporté l’écologie en bagage accompagné pour essayer elle – même de se ressourcer et de se reconstituer.
Si vous voulez mon point de vue, je considère les candidats retenus par l’équipe de la primaire populaire comme autant d’avatars divers de cette recherche de sens, non pas de la gauche au sens strict du mot, mais de la seule social – démocratie.
Cela vaut pour Yannick Jadot, largement gagné par ailleurs à une logique européenne et « internationale » qui fait presque de lui un candidat incongru d’une simple élection présidentielle, comme pour Jean Luc Mélenchon, ancien lambertiste converti au mitterrandisme au tournant des années 80.
Jean Luc Mélenchon dont une militante m’a fait cette réponse ce matin, lors même je lui faisais remarquer que revenir à la retraite à soixante ans était une bonne idée, mais que maintenir le principe des quarante annuités ne permettait pas de résoudre le problème pour les personnes entrant tardivement dans la vie active (notamment les étudiants) « bah, c’est quarante deux ans aujourd’hui. (Merci Hollande et Touraine), ce sera déjà cela de revenir à soixante ans. »
A ma seconde question : « et pourquoi pas 37,5 années ? », j’eus comme réponse « bah, on peut pas, tout de suite ».
Ainsi donc, la France dont le PIB, en 2022, malgré la récession de 2020, est autrement plus élevé qu’en 1981 (nous sommes passés d’un PIB par habitant inférieur à 10 000 euros à un PIB légèrement inférieur à 34 000 euros), ne serait pas ou plus en situation de financer des pensions et retraites liquidables à soixante ans sur la base de 37,5 années…
Il n’y a pas de honte à se dire ou être social – démocrate.
Historiquement, c’est même l’un des courants du socialisme français.
Quand bien même ses prises de position, à plusieurs reprises, ont posé problème aux catégories sociales dont il était censé porter les aspirations.
On peut ici évoquer 1914 et le ralliement à l’Union Sacrée (qui fut aussi le fait d’un certain nombre d’anarchistes engagés dans le mouvement syndical d’alors), comme on peut citer la « non intervention « en Espagne en 1936, la ratification des accords de Munich en 1938, les aventures coloniales en Indochine et en Algérie et, plus près de nous, la guerre du Golfe en 1990, sans parler de la ratification des Traités européens et du reférendum constitutionnel de 2005.
La vie du courant social – démocrate en France est donc pleine de ces actes, de ces errements, de ces reniements que nous devons garder à l’esprit dès lors que nous interrogeons la situation actuelle.
On pourra d’ailleurs ici souligner que le PS a tenté, au tournant des années 2000, de tirer parti des limites mêmes de la Cinquième République.
Premier temps : le quinquennat avec le referendum du 24 septembre 2000 qui a réduit à cinq ans la durée du mandat présidentiel.
Sur un plan personnel, j’ai voté contre le quinquennat.
Parce que j’étais convaincu à l’époque (et je le suis toujours) que le recours au quinquennat était, a priori, le plus sûr moyen de permettre au même d’exercer le pouvoir pendant dix ans, c’est à dire pendant deux mandats consécutifs.
C’est à dire que l’élection présidentielle pouvait devenir, plus encore qu’elle ne l’était déjà, l’élection pivot des institutions.
Je rappellerai ici que le referendum en question vit la participation de 30 % du corps électoral et que près de deux millions d’électeurs ont voté blanc ou nul.
Le quinquennat a été adopté par un peu plus de 7,4 millions d’électeurs, soit moins d’un électeur sur cinq, alors.
En d’autres démocraties, quelque peu habituées au mode référendaire (la Suisse par exemple), le résultat n’aurait pas été validé…
La seconde phase des errements du PS d’alors, c’est le projet de loi sur l’inversion du calendrier électoral durant l’hiver 2001.
Sortant les règles à calcul, les promoteurs du quinquennat ont découvert qu’au printemps 2002, nous risquions d’avoir un calendrier électoral chargé, avec les élections législatives suivi d’une élection présidentielle, celle – ci portant en elle – même le risque d’une dissolution ultérieure de l’Assemblée, pour peu que le pensionnaire de l’Elysée n’ait pas la couleur politique de la majorité parlementaire.
Peu de gens s’en souviennent mais la droite parlementaire de l’époque, notamment au Sénat, s’est profondément opposée à l’inversion.
Au – delà des conjectures et des arguments plus ou moins fielleux alors sollicités, l’adoption de l’inversion a placé, de fait, les élections législatives sous « domination » de la présidentielle.
Le premier tour des législatives est devenu une forme de « confirmation « du vote présidentiel.
C’est à dire que les candidats investis par le ou les partis soutenant le Président élu quelques semaines avant bénéficient d’un bonus électoral, en général matérialisé par la désaffection des électorats de leurs adversaires.
Parfois, alors, le second tour « corrige » légèrement le tir et permet d’éviter une Assemblée nationale par trop monocolore (comme on l’a vu en 2007 où les bafouillis de Jean Louis Borloo sur la TVA sociale en pleine soirée électorale ont fouetté la conscience d’un électorat de gauche matraqué par le succès de Sarkozy en mai).
Mais le mal est fait, et les seconds tours sont souvent des duels entre candidats du pouvoir et opposants trop différents pour constituer la moindre alternative.
Ce fut vrai en 2002 comme en 2007 (majorités de droite), en 2012 (majorité PS et apparentés), et, enfin en 2017 (majorité macroniste).
Pour ce millésime, et pour mesurer ce que signifie la démobilisation des électeurs battus de la présidentielle, comment ne pas comparer les 3 113 109 voix des candidats FI et PCF des législatives (les deux partis ayant soutenu le même candidat) et les 7 059 951 suffrages de Jean Luc Mélenchon lors du scrutin présidentiel. ?
C’est sans doute là l’un des éléments du succès des macronistes, ceux ci n’ayant, au demeurant, pas progressé en voix entre les deux scrutins.
Mais comme les candidats Républicains ont perdu la moitié des votes Fillon du premier tour de la présidentielle et que le RN en a également laissé quatre millions et demi, la route de la victoire était ouverte au rassemblement de « l’extrême centre ».
On ne peut que souligner que cette période quinquennale de fièvre électorale, d’abord présidentielle puis parlementaire, participe à « cadenasser « la vie politique du pays, les ressources du droit parlementaire étant suffisantes pour assurer à la majorité de l’Assemblée Nationale, soutenant le Président élu le droit d’avoir le dernier mot.
Quinquennat et inversion du calendrier auront donc conduit à « fermer le jeu », ne faisant d’ailleurs (il suffit pour s’en convaincre de regarder ce qu’il en est en matière de participation électorale) des autres consultations (régionales, départementales, municipales, sans parler des européennes) que des élections secondaires et confidentielles.
L’éloignement entre le « peuple » dans sa diversité et ses représentants politique n’a, de fait, cessé de s’accroître, la chose étant largement confirmée par le recrutement sociologique des membres des deux Assemblées.
J’ai à l’esprit, au moment où j’écris cela, la situation d’une amie à moi, devenue conseillère départementale dans son Département d’origine, et dont le statut de salarié(e), avec les contraintes que cela lui pose dans l’exercice du mandat électif tiré du suffrage populaire et universel, dépare dans un Conseil départemental empli de retraités, de dames patronnesses et de chefs d’entreprise plus ou moins en activité…
Car, à la réflexion, dans le concept de « Primaire populaire », il y a un mot qui appelle quelques développements.
Celui de « populaire ».
Pour aller vite, d’autant que plein de personnalités tout à fait admirables et sympathiques (Juliette Binoche, Charles Berling, Dominique Méda, Stanislas Nordey, Christophe Alevêque ou Jean Claude Gallotta) nous enjoignent d’y participer, qu’est – ce qu’est le « peuple » aujourd’hui et notamment le « peuple de gauche » ?
Pour escamoter le débat, d’une certaine manière, on pourrait reprendre la fameuse formule de Brecht qui disait « Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple ».
Et paraphraser en disant « Puisque le peuple ne vote pas pour la gauche, il faut dissoudre le peuple »…
Soyons un poil plus sérieux.
Puisque nous sommes, me semble t il, confrontés à une situation déroutante.
A écouter media publics et privés, ou ce formidable medium de la voie publique, les gens sont préoccupés par la hausse des prix, par leur pouvoir d’achat (que ne viennent ils pas tous et plus dans les coopératives sans marge ?), sur leurs retraites ou encore sur la santé…
Ces thématiques sont, le plus souvent, des « thématiques de gauche » qui semblent montrer, avec évidence, une distorsion entre le niveau des préoccupations « populaires » et leur traduction politique.
La course entre Valérie Pécresse, Marine Le Pen, Nicolas Dupont Aignan et Eric Zemmour sur le niveau de l’exonération fiscale de l’habitation principale des redevables de l’impôt sur la fortune immobilière n’est pas le sujet le plus en cours.
Il y a clairement une question sur la « consistance » de l’objet peuple.
Certains auront remarqué (je suis mauvaise langue) que les initiateurs de la primaire populaire ont la particularité de ne pas être tout à fait des « perdreaux de l’année » en matière d’engagement politique ou associatif, à commencer par Mathilde Imer (qui a fait partie de la Convention citoyenne pour le Climat) ou Samuel Grzybowski, sans parler des autres membres du bureau de la Primaire, souvent issus du petit monde de la start up Nation…
Le peuple, cela existe, effectivement et je vais même dire, contrairement à certains ouvrages définitifs sur cette thématique, que le « prolétariat » existe et qu’il importe de le sortir de la situation d’invisibilité où il est aujourd’hui entretenu tant par la presse, que par les media audiovisuels, sans parler de la création artistique dans ce pays qui, trop souvent, ne s’intéresse qu’aux petits soucis et petites intrigues de la petite bourgeoisie…
Nous en avons d’ailleurs l’illustration dans l’activité même de notre coopérative, projet d’origine novatrice et aventure passionnante par ailleurs, mais qui semble comme en crise (au sens premier du terme) parce qu’elle se cogne à l’invisible, au mur qui nous sépare d’une bonne partie de la population de notre ville.
Prenons un cas d’espèce.
Dans le prolétariat dionysien, figurent probablement une bonne partie des livreurs à vélo qui assurent de plus en plus, comme on dit, « la logistique du dernier kilomètre »…
On les évalue à 200 000 en France, entre ceux ayant du supporter la situation d’agents commerciaux de Deliveroo, Stuart (filiale de la Poste) ou Frichti et ceux ayant réussi à voir leur contrat requalifié en contrat salarié.
Si tel est le cas, cela signifie que nous en compterions entre 300 et 350 dans notre ville, au regard de sa population…
On se rend compte de la chose… il y aurait l’équivalent des adhérents de deux des coopératives de Saint Denis tentant de gagner sa vie en pédalant sur un vélo ou en le portant jusque dans une rame du RER pour réduire un peu le temps de parcours…
Le prolétariat ou la « classe ouvrière », cela existe.
Et cela recouvre par exemple nos livreurs à vélo, les vigiles et gardiens d’immeuble, ou de centres commerciaux, les démarcheurs téléphoniques des centres d’appel (ceux qui doivent désespérer de me vendre un contrat fibre optique), les ouvriers et surtout ouvrières nettoyeurs(euses) de nos bureaux et institutions, les manutentionnaires de chez Amazon payés au SMIC pour liquider les libraires de quartier, les sans papiers qui font la plonge dans les grands hôtels de luxe accueillant les requins de la finance, les sans papiers ramassant les poubelles à Paris, les sans papiers construisant les grands chantiers publics de France et d’ailleurs…
C’est aussi le petit monde des gérants mandataires de points Relay ou Sitis, les employées à temps partiel contraint de chez Franprix ou Auchan, les distributeurs de journaux gratuits et de prospectus, les mamans africaines vendeuses de manioc et de maïs, tous ceux qui peuplent nos cités, animent nos rues, que nous croisons peut – être sans avoir jamais fait attention réellement à leur situation.
Je dois dire ma surprise constante que de vérifier à quel point le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication ont constitué un support majeur à l’explosion du précariat, ces emplois produit de la parcellisation forcenée des tâches et de la course au moins disant.
Et le peuple, fût – il ou non de gauche, c’est aussi l’enseignant en école maternelle dévoué à sa tâche, c’est l’infirmière attentive à ses patients, le cheminot conduisant son train, le créateur victime de l’intermittence et de la raréfaction des financements désintéressés.
Pour peu que l’on croit à la justice sociale, aux valeurs fondatrices de la République (nous ne sommes ni en Belgique où l’on célèbre « Le Roi, le Droit, la Liberté « ou aux USA puisque la laïcité nous dispense d’adopter « In God we trust »), que l’on préfère l’égalité des droits à l’incertitude des « chances », on se situe du côté de la défense et de l’approfondissement des statuts et garanties individuels et collectifs, facteurs d’émancipation.
Mais il faut aussi de l’écologie mentale, là – dedans.
Je suis profondément, de longue date et durablement de gauche, mais je n’ai jamais ressenti le sentiment de découragement que certains media essaient ces temps derniers d’instiller, préparant la voie à une abstention massive qui sera l’un des éléments surveillés des prochaines élections.
Et ne pas oublier quelques points historiques récents…
Ceux et celles qui ont des expériences militantes, syndicales ou politiques, ont-ils oublié que la réforme des retraites, interrompue du fait de la pandémie, avait commencé d’animer quelque peu les rues de nos villes et l’action des forces sociales durant les années 2018 et 2019, accompagnées notamment dans l’exercice par les agents et praticiens hospitaliers ?
Avant d’applaudir les « soignants » au printemps 2020, je me souviens qu’on les matraquait dès qu’ils manifestaient…
Le quinquennat de Macron, pour résumer, se sera de fait limité à une série de conflits sociaux plus ou moins sérieux (gilets jaunes entre autres) suivis ou précédés de la mise en œuvre d’états d’urgence, sécuritaire d’abord avant d’être sanitaire, permettant de tester la capacité de nos gouvernants à réduire les libertés publiques.
Quant aux réformes, concept particulièrement galvaudé, elles n’auront guère été au rendez vous.
En tout cas, pas celles qui nous auraient rendu la vie plus facile.
Alors, gardons à l’esprit les limites de l’exercice démocratique de la présidentielle, comme des législatives et ne perdons pas de vue que ces élections ne sont qu’un moment de la vie politique de notre pays.
Et qu’il n’est pas impossible que l’alternative ne trouve forme qu’au travers de luttes qui ne devraient pas trouver à monter, au fil des mesures impopulaires…